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Violence raffinée à Lyon

Violence raffinée à Lyon

21 May 2019 | PAR Gilles Charlassier

Six ans après la création à Aix-en-Provence de Written on skin, George Benjamin crée Lessons in love and violence, son troisième opéra, à Londres, avec ses complices habituels Martin Crimp et Katie Mitchell. Un an plus tard, Lyon, également commanditaire, fait venir la production, cette fois sous la direction d’Alexandre Bloch.

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La création lyrique a différents visages. Si certaines avant-gardes explorent des formes nouvelles, parfois aventureuses, d’autres compositeurs ne renient pas l’héritage du passé, sans pour autant céder à la facilité narrative cinématographique – qui a également sa légitimité. A l’inverse d’un Gérard Pesson qui réinvestit le répertoire pour façonner un matériau musical jubilatoire, d’une cohérence évidente au-delà de sources hétéroclites à dessein, ainsi que les Trois contes lillois en ont fourni l’exemple en mars dernier, George Benjamin privilégie une inspiration homogène, qui s’enracine également dans le passé littéraire, esthétisé de manière contemporaine, au diapason d’une écriture retenue, où la véhémence des émotions se révèle toujours calibrée.

On ne sera ainsi guère étonné du compagnonnage avec Martin Crimp et Katie Mitchell. Pour ce nouvel opus, Lessons in love and violence, Martin Crimp s’est inspiré de l’histoire du roi Edouard II, et en particulier de la pièce éponyme de Marlowe. Le souverain sacrifie la raison politique à son plaisir d’amour et d’esthète, aux côtés de Gaveston, son amant. Mais le ménage à trois va tourner court avec la vengeance de Mortimer, qui se servira de la reine pour parvenir à ses fins. Témoignant d’un métier accompli, le librettiste sculpte une langue subtile mais sans fioriture, qui sert la précision expressive, quasi chirurgicale, d’une partition distillant une tension dramatique aussi économe qu’efficace, sans les traces de maniérismes qui affleuraient parfois dans Written on skin. Dans la scénographie de huis clos de Vicki Mortimer, Katie Mitchell se concentre sur l’intemporalité essentielle du drame voulue par les auteurs, sans pour autant se figer dans quelque statisme. Les discrètes rotations des éléments du décor, ainsi que les modulations des lumières de James Farncombe, accompagnent la succession de tableaux où se décline la solitude du pouvoir et des sentiments, que ne viendront pas contredire les mouvements chorégraphiques réglés par Joseph Alford, lesquels renforcent l’hostilité de l’entourage.

Stéphane Degout incarne un Roi d’une remarquable richesse dans l’évolution psychologique, témoignant une maîtrise des moyens aussi admirable que sa maturité. Le grain vocal restitue une allure souveraine qui se fragilisera au fil de l’intrigue. Sans verser dans le sosie de Barbara Hannigan, Georgia Jarman cultive quelque parenté avec la créatrice d’Isabelle du rôle à Londres. Avec des ressources peut-être moins étendues, elle privilégie un certain naturel qui resserre avec intelligence la palette affective du personnage. Gyula Orendt affirme une présence indéniable en Gaveston, autant qu’en Etranger. Peter Hoare impose un Mortimer à la ligne mordante et à la vigueur vindicative, qui contraste avec le timbre éthéré de Samuel Boden, l’héritier. Mentionnons encore les trois témoins, dévolus à Hannah Sawle, Katherine Aitken et Andri Björn Robertsson, ce dernier assumant par ailleurs l’intervention du Fou, ainsi que la figuration de la fille par Ocean Barrington-Cook. Dans la fosse, Alexandre Bloch fait vivre les couleurs et les textures de l’ouvrage, avec un élan qui confine parfois à l’impulsivité dans certains forte, trahissant peut-être ça et là la pudeur de Benjamin. Un spectacle raffiné qui a encore de nombreuses étapes devant elle ; c’est la vertu de la coproduction, salutaire quand il s’agit de création.

Gilles Charlassier

Lessons in love and violence, Benjamin, mise en scène : Katie Mitchell, Opéra national de Lyon,  mai 2019

© Opéra de Lyon

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Gilles Charlassier

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