Un enlèvement au sérail aux voix enlevées à l’Opéra Garnier
Après trente ans d’absence au répertoire le premier opéra en langue allemande et l’un des plus délicieux de Mozart revient au répertoire de l’Opéra de Paris. C’est dans les dorures de l’opéra Garnier que le kitsch assumé de la mise en scène de Zabou Breitman n’empêche pas de se réjouir et se rassasier de cet Enlèvement au sérail (1782) orchestré avec vivacité par Philippe Jordan et porté par un couple-phare aux voix parfaitement adaptées aux élans pseudo-orientaux de la musique. Un régal pour les oreilles!
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C’est avec vivacité, in extenso, et un penchant symphonique fort qui fait quitter au Mozart de 25 ans le baroque qu’on peut parfois retrouver dans Mithridate, que Philippe Jordan dirige avec précision l’orchestre de l’Opéra national de Paris. Sur scène, c’est un décor statique et grandiloquent exprimant l’essence même d’un Orient de Walt Disney qu’a choisi le regretté Jean-Marc Stehlé. De temps en temps on sort des cadres et un quatuor ou une partie de l’orchestre montent donner un peu de relief à la scène.
Seuls bougent les costumes et les acteurs dans cette cour du palais du pacha Selim, cruel turc qui a fait enlever la belle Konstanze pour la placer dans son Harem. C’est le terrible Osmin qui veille sur elle et sur sa compagne anglaise Blonde, tandis que le fiancé de Konstanze, Belmonte se fait passer pour un architecte et aider son valet, Pedrillo, pour sortir les deux femmes de leur prison.
or la mise en scène et les mouvements commandés aux acteurs et aux danseurs par Zabou Breitman décident d’être bien moins fins qu’un texte lui-même drôle et bien moins monolithique qu’il n’y parait : seuls varient par rapport à un orientalisme “Belle époque” de danses orientales et de vaisselle cassée si les femmes sont mécontentes, quelques selfies pris à la volée pour faire moderne, un aparté sur les torchons et un maigre derviche planté sur le bord de la scène tout le long de la pièce. Bref, retour vers un passé absurde du coté du visuel; et pourtant, le timbre magnifique de Belmonte (alias Bernard Richter) qui ne fait que se raffiner du Constanze ! Constanze ! dich wieder zu sehen au bouleversant “Ich baue ganz auf deine Stärke”, ainsi que la maestria de Erin Morley (alias Konstanze) dès “Ach ich liebte, war so glücklich” et royale avant le tombé de rideau de l’entracte (“Marten aller arten”) permettent vraiment aux personnages de nous faire vibrer. Si la tension monte et culmine avec l’incroyable quatuor “Ach Belmonte! Ach, mein Leben”, c’est bien le duo “Welch ein Geschick !” antre Richter et Morley qui crée le moment de grâce. A côté, Anna Prohaska est une Blonde espiègle comme il faut, très convaincante dans les aigus, Paul Schweinter un Pedrillo agréable et Lars Woldt un Osmin truculent mais un peu court, notamment dans le “Ah Wie will ich Trumphieren”… En Sélim, il faut aussi noter que Jürgen Maurer est un acteur très convaincant!
Porté par les voix du grand duo d’amoureux et un orchestre présent à tous les rendez-vous fixés par Mozart dans cet opéra magnifique qui a manqué aux parisiens pendant 30 ans, cet enlèvement est, par-delà sa mise en scène clinquante, un magnifique moment de vivacité et de musique.
L’enlèvement au sérail de WA Mozart, mise en scène : Zabou Breitman, direction: Philippe Jordan, Orchstre de l’Opéra de Paris, avec Jürgen Maurer, Erin Morley, Bernard Richter, Lars Woldt, Paul Scwheinter, Anna Prohaska… durée : 2h50 autres dates : les 27 & 29 octobre, le 1ier novembre.
©Agathe Poupeney/OnP