Opéra
Tosca s’inscrit à Turin dans la plus pure tradition italienne

Tosca s’inscrit à Turin dans la plus pure tradition italienne

22 October 2019 | PAR Paul Fourier

L’opéra de Puccini frappe fort lorsqu’il est servi simplement dans l’amour et le respect de l’histoire et de la musique. C’est le cas pour cette production du Teatro regio de Turin.

Le Teatro regio de Turin qui était l’une des plus grandioses salles à l’italienne d’Europe fut détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Un projet fut confié à l’architecte Carlo Mollino et la nouvelle salle fut inaugurée en 1973. S’évasant de manière surprenante avec un seul niveau de gradins montant en douceur et une couronne de loges, elle a ce côté kitsch, mais pas « cheap » de ces architectures propres aux années soixante.
Ce qui frappe d’ailleurs aujourd’hui, ce sont les similitudes avec le Metropolitan Opera de New York. Son acoustique, qui n’était, semble-t-il, pas bonne à la réouverture, a été corrigée avec le temps avec notamment l’ajout d’une cage de scène. Elle est désormais plutôt acceptable sans égaler celle des salles traditionnelles à l’italienne de la péninsule.
Après une ouverture de saison avec Les pêcheurs de perles de Bizet (et le ténor français Kevin Amiel dans le rôle de Nadir), le théâtre reprenait Tosca dans la mise en scène de Mario Pontiggia avec une distribution engageante : Anna Pirozzi dans le rôle de Tosca, Ambrogio Maestri en Scarpia et Marcelo Alvarez en Cavaradossi.

L’expérience démontre que le cadre classique reste une valeur sûre pour Tosca tant les tentatives d’actualisation sont rarement convaincantes, comme en témoignent les productions successives réalisées ces dernières années pour l’Opéra National de Paris.
Les trois lieux du drame sont clairement identifiés ; la plupart des gestes rigoureusement codifiés, la dimension historique définie à la date près, l’intrigue d’une linéarité exemplaire. Le livret respecte les grandes lignes du « mélodrame flamboyant » qu’est le drame originel de Victorien Sardou et l’ensemble n’a besoin d’aucun ajout car tout semble réglé au millimètre et il suffit d’entrer dans ce cadre fait sur mesure pour frapper fort. Chaque acte suit une progression dramatique jusqu’à un moment extrême, n’autorisant jamais le spectateur à relâcher son attention.
La mise en scène de Mario Pontiggia, les décors et costumes de Francesco Zito, jouent la sobriété historique, juste, pertinente. Une de celles qui mettent le public dans le confort de repères rigoureusement disposés et dans laquelle prennent naturellement place des interprètes totalement dévoués à la musique de Puccini. Le jeu des acteurs y est réglé dans la plus pure veine classique, logique et efficace.

Ce chef-d’œuvre exige un trio de chanteurs (et singulièrement un duo, tant le second acte est un affrontement « mano à mano » ou plutôt « voce a voce » entre Tosca et Scarpia) qui doit être parfaitement équilibré, sans maillon faible.
Et l’on se rend à l’évidence : il l’est avec cette distribution « à l’ancienne » d’une efficacité redoutable. « À l’ancienne », car l’on est pas là dans la démonstration de force, la soprano wagnérienne descendue de son Olympe ou le ténor focalisé sur la seule puissance de projection de ses « vittoria » du second acte. On est tout simplement dans le monde des artistes, serviteurs humbles de la sublime musique de Puccini.

On a connu des hauts et des bas, ces dernières années, avec Marcelo Alvarez. S’il n’a jamais réussi – pas plus ce soir que précédemment – à progresser dans une posture d’acteur désespérément caricaturale, il incarne, vocalement, un Cavaradossi de grand panache. Ne cédant jamais au spectaculaire – peut-être même n’en a-t-il plus tout à fait les moyens – il délivre un air d’entrée encore un peu tendu, mais trouve rapidement une vitesse de croisière qui en fait un héros simple et distingué, élégant, mais capable, au second acte, de lancer des « victoria » tranchants sinon tonitruants. Son « lucevan le stelle » est solaire et naturel, sans emphase, sobre et beau.

Ambrogio Maestri impressionne dès son entrée en scène. Corporellement, bien sûr, c’est un roc, une apparition imposante qui fait de son Scarpia un ogre plus psychologiquement cynique que physiquement brutal. Vocalement, cela est immédiatement validé par sa puissante démonstration dans le Te Deum de la fin du premier acte. Excellent acteur, il fait du chef de la police celui qui dicte le « timing » aux autres et chorégraphie leurs mouvements jusqu’à ce que la mécanique se dérègle et que Tosca lui fasse définitivement perdre la main.
Les grands Scarpia sont ceux qui ont pris parti de fusionner le personnage de fiction avec leur propre individualité, leur propre physique, leurs propres attitudes. Maestri « habite » non seulement le rôle, mais parvient également vocalement à user de ces mille nuances qui en s’accordant à ses expressions de scène rendent le monstre crédible, séduisant et répugnant tout à la fois. Ce faisant, il s’affirme probablement comme son plus grand interprète actuel.

La Tosca de Anna Pirozzi n’est pas une Diva flamboyante, mais une femme aux réactions simplement humaines prise dans les rets d’un enchainement d’évènements mortels. Elle s’adapte à ce qui arrive, ne minaude pas dans le premier acte, ne fait ni montre d’effets de manche, ni d’une agitation inutile dans le second ; elle va son chemin, tentant maladroitement de protéger Cavaradossi, subissant les sarcasmes et les coups de boutoir de Scarpia. Et, en parallèle, l’on sent que Pirozzi est musicalement simplement respectueuse du personnage imaginé par Sardou et Puccini. Son chant est sobre et subtil, en phase avec ses attitudes. Au premier acte, elle utilise des accents jaloux, mais drôles comme on le fait dans le jeu de l’amour. Lorsqu’elle découvre ce qui se passe dans le salon de Scarpia, elle met un certain temps à comprendre que le jeu n’est plus et que l’on a changé de registre. Et jusqu’à la fin de l’acte, on a, dans les attitudes comme dans le chant, une femme blessée qui réagit et s’adapte, jauge et essaye de déchiffrer les intentions du monstre, ne tue finalement que parce que c’est la seule issue possible. Et cette évolution psychologique et vocale progressive conduit à un « vissi d’arte » qui touche au cœur (et provoque une si longue ovation qu’elle semble réclamer le bis). Pirozzi est une grande Tosca parce que sa Tosca est sortie des pages du livret et de la partition pour devenir non une super-héroïne qui terrasse le mal, mais une femme de chair et de sang, tout simplement !

Les seconds rôles dans Tosca ont souvent du mal à exister face aux trois protagonistes principaux. Il n’empêche, distinguons-les, que le sacristain de Roberto Abbondanza et le Angelotti de Romano Dal Zovo sont parfaits. Et le chœur du Teatro regio, celui qui n’apparaît guère dans l’opéra, mais doit frapper fort dans le Te Deum, se montre tout aussi excellent.

Enfin, complétant ce tableau, la direction d’orchestre du jeune Lorenzo Passerini est également exemplaire pour cette Tosca jamais tonitruante, pour cette musique de Puccini envoûtante qu’il sait adapter au drame et aux chanteurs afin qu’elle ne soit jamais envahissante.

Visuel © Edoardo Piva

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