Opéra
“The Rake’s Progress” de Stravinsky à Reims: Tom Rakewell, du libertin au libéral

“The Rake’s Progress” de Stravinsky à Reims: Tom Rakewell, du libertin au libéral

23 November 2016 | PAR Julien Coquet

La production de David Bobée pour cet opéra de Stravinski appelé à tourner à Rouen, à Limoges et à Luxembourg après être passée par Caen et Reims est satisfaisante sans toutefois être tout le temps convaincante. Le plateau vocal offre une belle prestation de l’oeuvre néoclassique.

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Du libertin au libéral, il n’y a qu’un pas, comme l’explique le metteur en scène de ce Rake’s Progress dans sa note d’intention: “Et lorsque Nick Shadow proclame “Ici commence la carrière d’un libertin”, je veux lire “Ici commence la carrière d’un libéral”“. Les puristes pourront crier à une énième transposition et modernisation de l’oeuvre, mais nous ne le ferrons pas, puisque cette vision fonctionne assez bien. Le jeune Tom Rakewell est en effet bien naïf pour conclure un pacte avec le Diable, Nick Shadow, et se retrouvera au milieu d’un monde de débauche, d’excès et de luxure. On pourra ainsi se réjouir de certaines scènes montées par David Bobée: la vente aux enchères des biens de Tom par un huissier sosie officiel de Bernard Madoff, la visite de Tom à Mother Goose tenancière d’une maison close appelée “True Love” (en référence à Trulove, l’ex-femme de Tom) ou encore l’adoration de Baba la Turque par une foule armée de perches à selfies. Cependant, la mise en scène ne fonctionne pas sur tous les points. La machine qui transforme les pierres en pain se transforme ainsi en ordinateur, symbole de la financiarisation de l’économie. L’idée est bonne, mais les dialogues ne collent plus vraiment avec ce qui nous est montré sur scène. Remarquons aussi une utilisation de la vidéo souvent peu pertinente. Au début de l’opéra, l’innocence de Tom est soulignée par la présence d’un agneau en arrière plan tandis que l’on s’interrogera sur la diffusion d’une vidéo d’un main mélangeant des framboises (?) lorsque Mother Goose présente au personnage principal sa maison close.

La musique de Stravinsky n’appartient pas à sa période la plus innovante sur le plan de la recherche musicale. En effet, après avoir émigré aux États-Unis, le compositeur d’origine russe, ayant exploré les chemins de la modernité, notamment à travers Le Sacre du printemps en 1913, se rapproche d’une musique plus classique et d’un courant appelé « néoclassique ». Inspiré par Cosi fan Tutte, Rossini, Bellini ou encore Donizetti, Stravinsky a composé un opéra avec des arias, des récitatifs (un clavecin dans l’orchestre), des duos, etc. Considéré comme un chef-d’œuvre par de nombreux critiques et régulièrement monté, The Rake’s Progress mérite d’être écouté attentivement afin de se faire sa propre opinion.

Heureusement, la direction de Jean Deroyer arrive à faire ressortir la sécheresse de la partition. Même si l’orchestre de l’Opéra de Reims peine parfois à suivre la battue rapide du chef, l’âpreté de la musique ressort parfaitement et sait accompagner les musiciens. Pour les peu de fois où il intervient, le chœur de l’Opéra de Limoges est aussi convaincant, dont la scène de la vente aux enchères et la scène finale dans l’asile.

Le Nick Shadow de Kevin Short est un parfait Méphistophélès. Une carrure imposante confère au personnage qui entrainera Tom vers la folie une présence scénique certaine. Ces « Well » aux graves impressionnantes font à chaque intervention sourire le public. Isabelle Druet chante sa première Baba la Turque. Sans barbe mais affublée d’un manteau et d’une coupe ridicules, la chanteuse se démène parfaitement avec un rôle peu facile, d’autant plus avec un tempo si rapide. Mother Goose (Kathleen Wilkinson) est une mère maquerelle à l’accent anglais parfait. Le Sellem de Colin Judson, sautant de bureau en bureau lors de la vente aux enchères, offre un personnage ravi de faire son travail. Le père de la promise de Tom, interprété par Stephan Loges, est souvent trop en retrait et couvert par l’orchestre. Marie Arnet manque quelques fois d’assurance sur la scène mais heureusement, sa voix offre de beaux aiguës et l’air de la fin de l’acte I offre une Anne Trulove bien décidée à retrouver son Tom. Ce dernier, malheureusement, ne convainc pas toujours. Sur le plan vocal, le Tom Rakewell de Benjamin Hulett est satisfaisant grâce à un souffle impressionnant. Nous serons par contre plus réservés sur l’interprétation du personnage qui offre durant toute l’œuvre un Tom nigaud et se demandant constamment ce qu’il fait là.

Visuel: ©Philippe Delval

The Rake’s Progress de Stravinski à l’Opéra de Reims le dimanche 20 novembre 2016

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