Classique
Un fabuleux Sacre du printemps à la Philharmonie de Paris

Un fabuleux Sacre du printemps à la Philharmonie de Paris

05 March 2023 | PAR Hannah Starman

Ce 3 mars, l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la baguette d’Alain Altinoglu nous livre une performance éclatante du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky, précédé par son Concertino pour douze instruments et Layal, une création de Benjamin Attahir à la mémoire d’Isaac Stern avec Renaud Capuçon au violon. Une soirée exceptionnelle !

Concertino pour douze instruments d’Igor Stravinsky

Devant une Salle Boulez comble, le programme ouvre avec le Concertino pour douze instruments d’Igor Stravinsky. Ce délicieux morceau de “musique pure” – réalisé en six minutes avec compétence et fougue par le talentueux jeune premier violon de l’Orchestre de Radio France, Nathan Mierdl (24 ans) – est la transcription pour douze instruments que Stravinsky a écrite en 1952 à partir d’une œuvre composée sur la commande du violoniste Alfred Pochon en 1920. Le Quatuor Flonzaley, dont Pochon est le premier violon, avait déjà créé les Trois pièces pour quatuor à cordes de Stravinsky en 1914 et offrait au compositeur une coquette somme de 500 dollars pour le Concertino. Stravinsky en achève l’écriture au moment de son installation chez son amie Coco Chanel à Garches. Si la critique n’a guère apprécié la création ce cette œuvre particulière à New York en 1920, le public parisien était visiblement séduit par ce que Pierre Boulez appelle “l’irrégularité de la pulsation et mobilité de la vitesse.”

Layal pour violon et orchestre de Benjamin Attahir

Layal pour violon et orchestre, l’œuvre du jeune compositeur et violoniste franco-libanais Benjamin Attahir (34 ans), puise son inspiration entre Orient et Occident, la musique contemporaine et le répertoire (Dutilleux, etc.). Composée en 2020 à la mémoire du violoniste américain Isaac Stern, l’œuvre de 35 minutes est issue d’un “coup de foudre amical et musical” entre le compositeur et le violoniste Renaud Capuçon. Fondateur et directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix en Provence et artiste en résidence à Radio France, Capuçon créera Layal (Nuits en arabe) le 30 mai 2020, accompagné de la Staatskapelle de Berlin sous la direction d’Andrés Orozco-Estrada. A l’instar de Schéhérazade de Rimsky-Korsakov, la sonorité du violon est utilisée pour générer une indéniable fragrance orientale, tout en y appliquant les techniques occidentales.  

Benjamin Attahir décrit son œuvre comme ” une grande rhapsodie où le soliste parle. Il est très bavard, très volubile.” Le violon solo est mis en valeur et dialogue avec tous les pupitres, notamment avec le magnifique violoncelle solo, avant d’ouvrir “cette traversée qui évoque les nuits orientales où le violon passe d’une nuit à une autre comme les Mille et une nuits.” Chaque nuit semble éclairer les mêmes thèmes d’une façon renouvelée et il en résulte une magie chaude, ample et généreuse. Sous la baguette d’un Alain Altinoglu détendu et gracieux, Renaud Capuçon exécute avec brio et tonus les sections vives et oniriques qui s’enchaînent sans interruption. Penché sur sa partition, Capuçon balance tantôt la jambe gauche, tantôt la droite, comme s’il voulait se donner encore plus d’énergie pour défendre cette œuvre écrite pour lui et inconnue du public. Les applaudissements appuyés et trois rappels ne laissent planer aucun doute sur le succès de la création française de Layal et l’on se réjouit déjà de futures collaborations du tandem Attahir-Capuçon.

Sacre du printemps, Tableaux de la Russie païenne en deux parties d’Igor Stravinsky

L’œuvre emblématique du compositeur russe, dans lequel une jeune adolescente est offerte en sacrifice au dieu du printemps dans l’espoir que ce dernier permettra le renouveau des saisons, est un ballet composé par Igor Stravinsky et chorégraphié par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge Diaghilev. Avant de devenir une des œuvres majeures du 20ème siècle, le Sacre du printemps a été avant tout un scandale retentissant. Sa création par la compagnie des Ballets russes et dirigé par Pierre Monteux au Théâtre des Champs-Élysées le 29 mai 1913, jour de son inauguration, se termine dans un “vacarme épouvantable.” La chorégraphie “tribale” de Nijinski avec son “l’étalage sur scène d’une sensualité primitive” et la musique de Stravinsky, avec ses rythmes irréguliers et syncopés et “les discordances criardes d’un orchestre de dimension colossale” s’attirèrent de mémorables hués et inspireront certains de ses détracteurs à qualifier l’œuvre de “massacre du printemps.”

Stravinsky décrit le Sacre du printemps comme “une série de cérémonies de l’ancienne Russie.” Le Sacre s’inscrit ainsi dans une longue tradition de la musique russe, de Glinka dans les années 1840 à Stravinsky, en passant par Rimski-Korsakov. L’œuvre est divisée en deux tableaux, L’adoration de la Terre et Le Sacrifice, dont chacun débute par une introduction et un enchaînement de danses qui mènent à la Danse de la Terre et à la Danse sacrale. Œuvre de rupture qui provoque un bouleversement artistique sans précédent, le Sacre repose sur des fragments de la mélodie et du rythme traditionnels, juxtaposés comme une mosaïque pour créer des heurts de harmonie, tout en préservant certaines caractéristiques traditionnelles, dont les phrases répétitives et les unités rythmiques irrégulières. Ce “chaos organisé,” à la fois ancien et moderne, sophistiqué et “primitif,” donne au Sacre un son pleinement en phase avec son temps.  

Le Sacre, une partition de 35 minutes, est écrit pour un orchestre gigantesque avec de grandes sections de cordes, de cuivres et de percussions et la famille quasi complète d’instruments à vent dont les plus aigus et les plus graves.  Cinq exécutants sont prévus pour chaque pupitre de bois. Stravinsky produit ainsi une diversité de timbres et une sonorité exceptionnellement riches. Le solo de basson dans le registre suraigu qui introduit le Sacre avec une mélodie traditionnelle lituanienne est singulièrement périlleux et Alain Altinoglu attend patiemment, sourire aux lèvres et les yeux rivés sur les retardataires rougissant de honte et leurs voisins ricanant de Schadenfreude, avant de commencer. Le premier basson de l’Orchestre philharmonique de Radio France, Julien Hardy, ouvre le Sacre avec énergie, justesse et assurance. De son côté, le premier violon, Nathan Mierdl, s’impose avec un jeu précis et galvanisant. 

La qualité épatante sera au rendez-vous tout au long de cette œuvre exigeante et sportive. Les amplifications frénétiques seront intenses et exubérantes, les répétitions rythmiques hypnotisantes, les coups de timbales donnés à contretemps parfaitement accordées, les appoggiatures des instruments à vent gracieuses et légères, les tensions entre les cordes et les vents guerrières, les salves de percussions grisantes et la palette d’effets dynamiques de Stravinsky gérée d’une main de maître par le formidable Alain Altinoglu, pianiste devenu chef d’orchestre. Altinoglu est aussi rassurant qu’inspirant et sa présence rayonne d’une vitalité contagieuse. Les applaudissements qui éclatent après les dernières notes ne s’arrêteront qu’après le quatrième rappel, sans doute par compassion pour les musiciens épuisés par l’effort.

“C’est le meilleur Sacre que j’aie jamais entendu !” chuchote mon voisin avec urgence, exprimant ainsi le sentiment de nombreux spectateurs qui ont eu le privilège d’assister à cet exaltant réveil du printemps.

Visuel : © Marco Borggreve

 

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