Sanxay, édition anniversaire avec Aïda
Pour leur vingtième édition, les Soirées lyriques de Sanxay mettent à l’affiche Aïda, dans une production réglée par Jean-Christophe Mast.
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Depuis désormais vingt ans, les Soirées lyriques de Sanxay célèbrent l’opéra au cœur d’une région rurale en marge des grandes salles – feu Poitou-Charentes, désormais fondue dans la Nouvelle Aquitaine, était la seule division administrative régionale à être dépourvue de scène lyrique. Les ruines du théâtre gallo-romain constituent un écrin de verdure idéal, non seulement sous les étoiles, mais aussi pour les oreilles, avec une acoustique qui porte naturellement les voix, sans avoir besoin d’amplification artificielle. Les contraintes d’exploitation, tant en termes de jauge que d’équilibre budgétaire, n’autorisent guère à s’affranchir des grands titres du répertoire. Ainsi en est-il d‘Aïda de Verdi – que la pompe archéologique a souvent destiné aux grands espaces, même si le fond du drame est en réalité intimiste – déjà présenté il y a tout juste dix ans.
Réglé par Jean-Christophe Mast, le spectacle tire ingénieusement parti de la configuration des lieux. Dessinés par Jérôme Bourdin et réverbérés par les lumières de Pascal Noël, les décors campent une Egypte épurée et efficace, dans un équilibre habile entre pittoresque et minimalisme, qui n’oublie pas les ressorts dramatiques. Les trompettes de la fameuse Marche triomphale sont placées de part et d’autre de la scène, dans des coulisses de plein air, en un effet de spatialisation sans pesanteur inutile. Confiée à des corps grimés de maquillages vaguement rituels, la chorégraphie athlétique et syncrétique de Laurence Fanon souligne l’exotisme et les conséquences politiques de la guerre entre l’Egypte et son voisin éthiopien – les esclaves viennent du pays vaincu. Le poupon qu’Amnéris tient dans sa main lors de ses scènes introspectives suggère à la fois sa soif amoureuse et sa puissance, à la fois réelle et fantasmée, sur les êtres et les situations – de part de sa position.
Dans le rôle-titre, Elena Guseva affirme une intensité expressive évidente, sensible dans une ligne où affleure son inquiétude affective, et qui contraste avec la voix ronde et charnue de l’Amnéris d’Olesya Petrova, dans une complémentarité qui restitue remarquablement la rivalité des deux femmes. Irakli Kakhidze fait valoir le bronze de l’impulsivité héroïque de Radamès, dont la lumière est parcourue de vulnérabilité, dans le tiraillement entre l’amour et la patrie. L’Amonasro de Vitaliy Bilyy se distingue par une vigueur vindicative, incarnée dans une pâte généreuse. Rarement mise en évidence dans la masse chorale, l’intervention de la Grande-Prêtresse de Sophie Marin-Degor se détache avec une lisibilité intelligente, où l’on apprécie une autorité de la déclamation que l’on retrouve dans le Ramfis de In-Sung Sim comme dans le Roi d’Egypte qu’impose Nika Guliashvili.
L’apparition du messager, confiée à Luca Lombardo, remplit son office, de même que les choeurs, amples et précis, préparés par Stefano Visconti. Sous la baguette de Valerio Galli, l’Orchestre des Soirées lyriques de Sanxay met les couleurs et les rythmes de la partition au service de la caractérisation intimiste du drame voulue par Verdi. A quelques mesures de la fin du troisième acte, le chef suspendra le geste quand la bruine fera une apparition prématurée. Une vingtaine de minutes d’attente ne changera pas le caprice des cieux. En vingt ans, ce sera la première fois qu’une représentation n’ira pas à son terme : un clin d’oeil météorologique maligne qui ne ternira pas l’album d’excellence de vingt éditions de Soirées lyriques, que l’on souhaite s’enrichir au fil d’années nombreuses.
Gilles Charlassier
Soirées lyriques de Sanxay, Aïda, Verdi, mise en scène : Jean-Christophe Mast, août 2019
©David Tavan