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Recréation romantique à Saint-Etienne

Recréation romantique à Saint-Etienne

14 March 2019 | PAR Gilles Charlassier

A une heure de Lyon, l’Opéra de Saint-Etienne sait cultiver sa singularité, en particulier dans la défense d’un répertoire français aujourd’hui oublié. En témoigne la résurrection scénique du Dante de Benjamin Godard, dans une production réglée par Jean-Romain Vesperini, où se distingue Jérôme Boutillier en Bardi, le rival du poète.

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Le répertoire romantique français recèle maints ouvrages, pépites et curiosités, aujourd’hui tombés dans l’oubli. Depuis désormais une décennie, le Palazzetto Bru Zane dépoussière les bibliothèques : l’institution basée à Venise a ainsi réédité – et enregistré – un opéra de Godard, Dante, que Saint-Etienne recrée à la scène, après plus de cent trente ans de purgatoire. Créée en 1890 à l’Opéra Comique, la pièce dessine un portrait romancé d’un des totems de la Renaissance italienne, qui a largement inspiré le dix-neuvième siècle – tant en musique que dans les arts plastiques, de Delacroix à Liszt et Rodin. Plutôt qu’une stricte exactitude historique et biographique, le livret développe, dans l’esprit de son temps, les turbulences de la vie du poète et homme politique, sous l’angle de sa – chaste – passion amoureuse pour Béatrice, convoitée par son ami, et rival, Bardi, en une série de tableaux pittoresques embrassant à la fois l’histoire politique, l’intrigue sentimentale et la fantasmagorie poétique – le troisième acte reconstitue la rencontre de Dante avec Virgile en Enfer, tirée de La Divine Comédie.

Jean-Romain Vesperini ne cherche pas à réactualiser un drame qui s’inscrit d’abord dans la rêverie historique tant affectionnée par le Romantisme. Entre deux escaliers métalliques en colonnes, le décor de Bruno de Lavenère symbolise habilement la variété topographique des situations, depuis la place de Florence, avec ses balcons à l’ultime étape du couvent napolitain, en passant par une salle du Palais des Seigneurs et l’outre-tombe du mont Pausilippe. Rehaussée par les lumières de Christophe Chaupin, cette évocation imaginaire du Moyen-Âge se retrouve dans les costumes de Cédric Tirado, opposant Guelfes et Gibelins par une dialectique rouge et bleue qui se prolonge avec des lances surmontées d’un croissant ou d’une étoile anamorphosée, condensation d’une lutte fratricide que l’on peut apparenter à d’autres, tandis que le tombeau se pare de tuniques et de maquillages blafards. Peu importe au fond que l’ensemble ne se départit guère d’un relatif statisme, qui ne jure aucunement avec une conception picturale fidèle à l’oeuvre elle-même.

Dans le rôle-titre, Paul Gaugler démontre une vaillance certaine, faisant régulièrement souffrir la ligne par une émission forcée qui siérait mieux dans le bronze héroïque de Wagner que dans une écriture plus proche de l’école française. On saluera néanmoins un engagement constant, sinon aveugle. La tension expressive s’entend également dans la Béatrice investie de Sophie Marin-Degor, et forme avec l’aède un couple saisissant, qui dépasse les réserves strictement vocales. Il n’en est point à faire en revanche pour le Bardi de Jérôme Bouteiller, à la diction au moins aussi excellente que ses partenaires. A la fois sombre et bien projetée, son incarnation solide domine le plateau. Aurhélia Varak ne démérite aucunement en Gemma, d’une appréciable homogénéité, sans sacrifier le caractère et la jalousie. Le charbon efficace de Frédéric Caton résume autant la tutélaire Ombre de Virgile que le vieillard. Mentionnons encore les interventions de Diana Axentii, écolier juvénile et acidulé, et du héraut d’armes, confié à Jean-François Novelli. Le quatuor de religieuses se détache des choeurs préparés avec soin par Laurent Touche. Dans la fosse, Mihhail Gerts défend une partition syncrétique, qui offre une synthèse entre l’opéra français et Verdi, sans oublier une oreille tendue vers Liszt et d’autres sources germaniques. Si la reconquête du répertoire n’est pas garantie, on ne saurait bouder l’excitation d’une redécouverte défendue avec conviction.

Dante, Godard, mise en scène : Jean-Romain Vesperini, Opéra de Saint-Etienne, mars 2019

© Cyrille Cauvet- Opéra de Saint-Etienne

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