Opéra
Plácido Domingo et Maria José Siri, un beau récital sous le ciel étoilé de Vérone.

Plácido Domingo et Maria José Siri, un beau récital sous le ciel étoilé de Vérone.

02 August 2021 | PAR Paul Fourier

Les deux artistes ont délivré un récital patchwork fait de grands moments et d’autres, plus décalés.

L’essentiel, lorsque l’on vient prendre part à une soirée-hommage comme celle de ce 30 juillet avec Plácido Domingo, c’est d’abord, d’en avoir intégré les règles. L’objet n’est pas simplement de saluer une dernière fois une icône qui n’aurait plus aucun moyen et ne serait fêté que pour ses états de service. On y est présent pour l’Artiste avec ses armes et son répertoire actuels ; on y est présent pour son charisme, sa capacité et traverser les époques et, on doit le dire, l’immense classe du Monsieur.
À tous ceux qui s’épanchent sur les réseaux sociaux (…et qui ne se sont pas déplacés depuis longtemps pour lui), décrétant que l’âge de Domingo serait devenu rédhibitoire ou que sa transition de ténor à Baryton l’aurait disqualifié, l’on adresse le message que, c’est certain, ce spectacle n’est pas fait pour eux. Par le passé, le chœur des pleureuses s’était d’ailleurs déjà ainsi exprimé pour Caballé, Price, Scotto ou, plus récemment, pour Gruberova dans les temps où elles n’étaient plus au zénith… comme il se ressuscite, de manière quasi-constante, à chaque prestation de Leo Nucci. Répétitive, la complainte apparaît souvent comme dogmatique, alors que l’on ne saurait redire à ceux-là de, désormais, s’abstenir d’écouter ce qui leur fait si sûrement dresser le poil.

Rendons-nous néanmoins à l’évidence : une partie du public est venu se prosterner devant une idole à la carrière fabuleuse, comme en témoigne l’ovation qui l’accueille sur scène avant même que ne soit lancée la première note de musique…
Le temps à fait son œuvre et le Domingo d’aujourd’hui n’est certes plus le Domingo d’hier. Mais quel panache que de prendre comme camarade de jeux une Maria José Siri au volume conséquent et à la projection insolente !… à croire que le fait de devoir assurer les notes finales des airs, avec une partenaire de cette trempe, le galvanise !
Ce sur quoi l’on est cependant plus dubitatif, c’est le patchwork d’airs proposés et leurs adéquations respectives avec l’immensité du lieu. Domingo et Siri ont tout récemment donné un récital à la Salle Gaveau de Paris. Le programme a changé, mais les fondamentaux restent les mêmes. Et certains airs qui « fonctionnaient » à la perfection dans l’intimité de la salle parisienne semblent ici singulièrement en décalage.

Si, ce soir, ce qui relève de Verdi fait évidence, l’on est beaucoup plus circonspect sur les airs d’opérettes viennoises et, dans une bien moindre mesure et pour des raisons différentes, sur les airs espagnols et la zarzuela, bien que Domingo soit un maître absolu en cette dernière matière.

Nous y voilà ! La température commence à baisser, les traditionnelles bougies scintillent dans la pénombre des gradins ; la fête peut débuter

C’est l’ouverture des Vêpres Siciliennes qui lance le bal, disons-le avec un singulier manque de légèreté et des percussions bien pesantes.
Le chef, Francesco Ivan Ciampa, et l’Orchestre de la Fondation des Arènes de Vérone ne parviendront d’ailleurs à convaincre que dans l’ouverture pétillante d’Un Giorno di regno de Verdi et dans l’intermède de La Boda de Luis Alonso de Gerónimo Giménez.

Comme à Gaveau, l’on relèvera ensuite que l’air d’Hamlet, interprété en premier par Domingo, n’est probablement pas la meilleure idée qui soit, tant le baryton n’y apporte rien de particulier, que le français – qui n’a jamais été son fort – est approximatif, sans compter un vilain trou de mémoire qui s’en mêle ce soir.

Lorsque Maria José Siri paraît, l’on sait que la soprano a toute sa place dans l’immense amphithéâtre (elle vient d’ailleurs d’y chanter rien moins qu’Aïda, Santuzza et Nedda !). Étrangement et sûrement pour faire pendant avec ce qui précède, elle s’engage avec l’air du Cid « Pleurez mes yeux ». Sa capacité à tenir sans artifices les longues syllabes de cet air (d’autant que le chef ne lui facilite pas la tâche avec un rythme excessivement lent) et son appui naturel sur un médium riche font de ce premier air, une très belle surprise.

Verdi à la fête

L’air de Macbeth donne à Plácido Domingo l’occasion de briller dans l’un des rôles qu’il affectionne. Il y impose un rythme, une scansion, une émotion d’autant plus surprenante que le personnage tiré de Shakespeare n’est pas des plus sympathiques.
Le « Pace, pace mio Dio » de La forza del destino qui suit trouve également la soprano en son répertoire de prédilection, celui de ces héroïnes verdiennes malmenées dont l‘interprétation exige un savant dosage entre force et contrition. Bien sûr, les aigus sont parfois un peu instables, mais le souffle long, parfaitement maîtrisé, autorise des legatos de rêve.
Dans la foulée, ce n’est pas une surprise de constater que l’air d’affrontement entre la Leonora (du Trovatore cette fois) et le Comte de Luna, évolue sur les cimes. En récital, la violence du duo est remarquable. Leur mordant, à tous deux, sur un rythme très soutenu, nous plonge totalement au cœur de l’opéra et rendrait lisible la situation à quiconque n’aurait jamais assisté à une représentation de celui-ci.

De l’opérette décalée

La seconde partie débute avec une Marche Hongroise de La Damnation de Faust dont on peine à comprendre l’intérêt. Le chef ne maîtrise pas le particularisme de Berlioz et le mélange de légèreté et de grandiloquence, par manque de contrastes, devient ici, un passage bien ennuyeux.

Les airs d’opérettes qui suivent apparaissent comme des sucreries un peu inutiles. On ressent un côté assez artificiel dans ce répertoire qui est loin de leur être naturel, alors, pourtant, que les deux interprètes mettent du cœur à l’ouvrage et que certains moments sont fort beaux. Quant au duo de La veuve joyeuse, il laisse songeur tant il parait décalé avec le couple physique que nous avons devant nous.

La zarzuela évidente, mais à Vérone, un peu moins…

Vient ensuite, hors opéra, un répertoire naturel pour les deux artistes.
Lui, n’a plus à démontrer qu’il est un expert dans les airs de zarzuelas et d’opéras espagnols ; elle, toute Uruguayenne qu’elle soit, combine une justesse de chant à une gravité de ton tellement « espagnole ».
Ce sera un duo de La del manojo de rosas puis La canción de Paloma pour Siri et Amor, vida de mi vida pour lui. C’est extraordinaire… mais cela peine, cependant, à s’épanouir dans les grandes Arènes… Même si des tentatives sont faites pour essayer d’entraîner le public, il y manque les talons qui claquent sur le parquet et la chaleur d’une bodega à l’ambiance survoltée.

La fête continuera avec Vaya una tarde bonita …Si ! Torero quiero ser (El Gato Montes) en duo et Granada pour Domingo. Mais c’est Muñequita lindaTe quiero, dijiste ») de la compositrice mexicaine María Grever qui fera littéralement pleurer les pierres tant la soprano y est émouvante. De cabellos de oro, de dientes de perlas, labios de rubi… dime si me quieres como yo te adoro… le public apprécie… Enfin et comme un clin d’œil émouvant, c’est sur un très beau Non ti scordar di me (Ne m’oublie pas) que la soirée s’achève.

Au fil de la soirée, l’on voit que le plaisir, quasiment palpable pris par les spectateurs aura été celui d’une fête. Cependant, même si la grande scène aura brillé de belles projections, que Domingo aura assuré, sans faiblesses, un programme exigeant et que Maria José Siri aura été étincelante, l’on encouragera, si la chose se reproduit, à aller plutôt les entendre dans un espace mieux adapté.

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Paul Fourier

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