Opéra
« L’Elixir d’amour » à Strasbourg : pomme pomme pomme pomme

« L’Elixir d’amour » à Strasbourg : pomme pomme pomme pomme

25 October 2016 | PAR Julien Coquet

Très attendu pour sa première fois en France, le metteur en scène Stefano Poda propose une lecture symbolique, parfois cachée, mais toujours intéressante de l’œuvre de Donizetti.

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Assister à une représentation de L’Elisir d’amore est toujours un enchantement. Tout est réuni pour passer un agréable spectacle : des airs mémorables, de l’humour, le bel canto à son meilleur et même, chose assez rare à l’opéra pour être soulignée, un happy end.

Pour ses débuts en France, Stefano Poda, comme à son habitude, s’occupe de la mise en scène, des décors, des costumes, des lumières et de la chorégraphie. Bien connu à l’étranger, son travail est un reflet de sa conception de l’opéra qui est, pour lui, un « art total » : une même personne doit endosser tous les rôles afin de rendre l’unicité de l’ouvrage. Le décor, unique durant les deux actes, propose, à grands renforts de vert et blanc, une pomme géante en son milieu. Cette pomme (le péché, croquer la pomme, le mythe du jugement de Pâris, etc.) renferme les élixirs du fameux Dulcamara. On trouve aussi sur scène une voiture Coccinelle recouverte d’herbes, coccinelles que l’on retrouve accrochées à la pomme géante.

On aurait aimé pouvoir comprendre toutes les subtilités de la mise en scène (ainsi, pourquoi un tas de chaussures à talon rouges ?) mais Stefano Poda explique : « Je ne peux pas donner d’explications sur tout, et d’ailleurs, les symboles que l’on déchiffre ne sont plus des symboles. On ne demande pas à un peintre de parler de sa peinture. Ce n’est pas nécessaire ». Ce qui compte ici est la cohérence du propos. La plupart des clefs sont données au fur et à mesure de l’opéra. Si Belcore porte au premier acte un manteau constitué de perruques de femmes, c’est parce qu’il s’écrit à la fin : « Le monde est plein de femmes ; et Belcore en obtiendra mille et mille ». Dans une mise en scène où chaque détail compte, on ne pourra pas tout aimer (quel intérêt à remplacer le vin par du thé ?) mais on se réjouira de Dulcamara qui s’adresse directement aux Strasbourgeois, de ce charlatan qui transforme une nonne en rockeuse ou un Karl Largerfeld en boxeur grâce à sa potion ou encore de l’entraînement immédiat de Nemorino après s’être engagé dans l’armée. Les costumes sont extraordinaires : des robes en fleurs aux uniformes des soldats en passant par les costumes verts des chœurs.

La direction de Julia Jones, très précise, opte souvent pour un tempo rapide. Les cordes de l’orchestre symphonique de Mulhouse sont parfaitement à l’unisson.

Du côté vocal, on aurait peut-être aimé un peu plus de panache et de puissance dans toutes les voix. La salle de l’Opéra de Strasbourg est heureusement petite mais on doute que les voix se feraient entendre si la distribution chantait à Bastille. Cette remarque mise à part, le plateau vocal est convaincant. Ismael Jordi, grand vainqueur de la soirée, offre un Nemorino plus qu’enthousiasmant. Grâce à une présence scénique assurée et à une diction travaillée, l’Espagnol offre un beau rôle. Son « Una furtiva lagrima » prouve que le ténor a du souffle. Annoncée souffrante, Danielle de Niese remplit son contrat sur le plan scénique. Les vocalises sont maîtrisées et la voix devrait être belle mais, souvent, on perçoit dans celle-ci un manque d’assurance. Cette critique est à mettre sur le compte de la fatigue, espérons que la voix d’Adina saura enthousiasmer le public pour les futures représentations ! Le Belcore de Franco Pomoponi est un militaire imbu de lui-même, sûr de son physique. De plus, la voix suit grâce à une belle fluidité. Dulcamara, interprété par Enzo Capuano, est à moitié convaincant : malgré unes belle présence scénique, les graves sont faux et la voix manque de puissance. Enfin, avec peu d’interventions, la Giannetta d’Hanne Roos dévoile une voix pure et une bonne articulation, ce qui rend un beau passage à l’acte II lors de l’annonce de la mort de l’oncle de Nemorino avec le chœur de l’Opéra national du Rhin.

Au final, le spectacle auquel nous avons assisté le dimanche 23 octobre, malgré quelques points faibles, s’est révélé agréable à bien des égards : un très bon Neromino, une mise en scène aux multiples clefs d’interprétation ou encore la présence de l’humour de la partition ont prouvé la vitalité des opéras de province.

Visuel: ©KlaraBeck

Strasbourg – Opéra
ven. 21 octobre 20 h
dim. 23 octobre 15 h
mar. 25 octobre 20 h
mer. 2 novembre 20 h
ven. 4 novembre 20 h
lun. 7 novembre 20 h
Colmar – Théâtre municipal
jeu. 17 novembre 20 h
Mulhouse – La Sinne
ven. 25 novembre 20 h
dim. 27 novembre 15 h

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Julien Coquet

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