Opéra
Création française du Chercheur de trésors de Schreker à l’Opéra du Rhin

Création française du Chercheur de trésors de Schreker à l’Opéra du Rhin

31 October 2022 | PAR Gilles Charlassier

Dix ans après la création française du Son lointain, l’Opéra national du Rhin propose une autre première hexagonale d’un ouvrage de Schreker, Le chercheur de trésors, dans une coproduction avec la Deutsche Oper de Berlin confiée à Christof Loy.

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Au-delà de frontières parfois bousculées par l’Histoire, la proximité avec le voisin germanique que sépare le Rhin tout proche fait de Strasbourg la place privilégiée pour la défense du répertoire allemand, et en particulier de ses gemmes oubliées. Depuis son arrivée à la tête de l’Opéra national du Rhin, Alain Perroux a inscrit sa programmation dans cette tradition : après la résurrection des Oiseaux de Braunfels, la maison alsacienne reprend le fil de la redécouverte de Franz Schreker initié en 2012 avec la première française du Son lointain, sans doute l’opus le plus connu d’un compositeur au post-romantisme opulent qui connut son heure de gloire dans les premières décennies du vingtième siècle. Beaucoup plus rare sur les scènes après le grand succès à sa création à Francfort en 1920 et dans les quelques années suivantes – on n’en compte que sept productions dans le monde depuis 1945 –, Le chercheur de trésors s’inscrit dans la collusion entre fonds légendaire, symbolisation sociale, mystique et érotisme, creuset d’une époque que le compositeur compatriote de Freud a porté à son acmé.

Dans la coproduction donnée au printemps à la Deutsche Oper à Berlin – reprise ici par Eva-Maria Abelein – et qui donne à l’opus sa création en France, plus de cent ans après le baptême à Francfort, Christof Loy ramasse le pittoresque d’une histoire de bijou aux pouvoirs magiques, dont le vol menace la reine et la lignée royale de dépérissement et qu’un mystérieux ménestrel doit retrouver, dans une massivité noire et marmoréenne. Dessiné par Johannes Leiacker, le décor unique condense les différents lieux de l’intrigue, tour à tour salle d’apparat pour les grands ensembles, dénuement d’une antichambre ou encore abstraction poétique, dans une relative décantation propice à une polysémie au diapason du livret, sous les lignes calibrées par Olaf Winter. Les costumes imaginés par Barbara Drosihn, dans une contemporanéité ponctués de discrets archaïsmes, participent de cette même ambivalence, de ce même ailleurs entre naturalisme et féerie où se déploie l’inspiration de Schreker. On ne s’attardera pas sur la combinatoire chorégraphique lors du duo d’amour, dont l’anecdote au goût du jour ne divertit pas totalement d’une direction d’acteurs qui accompagne l’intensité des incarnations.

C’est évidemment l’incandescence de Helena Juntunen en Els, la fille de l’aubergiste, que l’on retient, avec une authentique puissance lyrique, portée par une vigueur de la ligne et des accents sur l’ensemble de la tessiture, sans jamais céder à la vanité des moyens techniques. Cet instinct de l’expression se retrouve dans le Elis de Thomas Blondelle, barde au timbre juvénile qui se distingue dans la tendresse et les demi-teintes extatiques, mais ne démérite cependant point dans une vaillance ça et là aux limites, notamment dans l’éclat de l’aigu, meilleur dans la douceur que dans la vitalité héroïque. Le second ténor du trio central de l’oeuvre, le Bouffon, revient à Paul Schweinester, idéalement calibré pour ce rôle de caractère qui dépasse les stéréotypes et atteint une consistance que le soliste autrichien ne manque pas de donner.

Le reste d’un plateau assez pléthorique réserve des figures également hautes en couleur, entre l’autorité mordante du Roi campé par Derek Welton, le robuste Bailli de Thomas Johannes Mayer, remplaçant Kay Stiefermann souffrant dans une performance d’autant plus remarquable que le baryton allemand chantait la veille le Vaisseau fantôme de Wagner à Hambourg, la suffisance du Gentilhomme que n’omet pas de faire valoir le non moins solide James Newby, ou encore l’Aubergiste de Per Bach Nissen, basse qui complète ce quatuor de tessitures aux graves bien présents. On n’oubliera pas les interventions, côté ténors comprimarii de Doke Pauwels en Chancelier, d’Albi par Tobias Hächler, ou encore du Greffier par Glen Cunningham, membre de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, aux côtés d’anciens artistes du programme et des choeurs pour compléter le kaléidoscope de personnages, et les Voix du lointain depuis les coulisses.

Sous la baguette de son ancien directeur musical, Marko Letonja, qui connaît bien le répertoire germanique et avait dirigé la création française du Son lointain il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg fait resplendir les sortilèges de Schreker, la richesse sensuelle post-romantique culminant au troisième acte comme le foisonnement d’une pâte orchestrale dense et chatoyante. Une remarquable redécouverte qui aura été gravée, à Berlin, pour un DVD qui sortira, espérons-le, définitivement Le chasseur de trésors du Purgatoire.

Gilles Charlassier

Le chasseur de trésors, Schreker, Opéra national du Rhin, du 28 octobre au 8 novembre 2022 à Strasbourg, et du 27 au 29 novembre 2022 à Mulhouse.

© Klara Beck

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