
Lakmé à Avignon : Sabine Devieilhe fait de Delibes un Délice
La production était très attendue et nous vous en avions déjà parlée lors de l’annonce du Live-tchat de Sabine Devieilhe : l’Opéra Grand Avignon reprend pour deux dates (les 20 et 22 mars) la production de Lakmé que nous avions déjà vue à l’Opéra Comique en janvier 2014. La simple idée de revoir Sabine Devieilhe dans ce rôle qu’elle maîtrise parfaitement nous émerveillait d’avance, à juste titre.
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L’oeuvre de Léo Delibe née à l’Opéra Comique en 1883 connaît rapidement le succès comme l’atteste sa longévité et ses quelques 1600 représentations dans la salle Favart. Si certains des plus grands noms ont marqué le personnage de leur talent, telles qu’Adelina Patti, Lily Pons, Janine Micheau, Mado Robin, Joan Sutherland, ou encore Natalie Dessay, Sabine Devieilhe est très certainement pour sa part la Lakmé de ce début du XXIème siècle, s’inscrivant sans difficulté dans cette lignée de noms prestigieux.
Certes, tout n’est pas parfait dans la reprise de cette production : l’Orchestre Régional Avignon-Provence, sous la direction de Laurent Campellone, n’offre pas les nuances et la délicatesse que l’on attend de cette partition, notamment dans la première partie où les musiciens devraient écouter un peu plus leurs voisins de fosse mais aussi les artistes sur scène afin de travailler ensemble et de ne pas concourir à qui passera le plus par-dessus les autres. Il manquait indéniablement une certaine harmonie, le tir étant quelque fois rectifié après l’entracte pour nous offrir une belle fin, bien plus subtile et juste que le début de représentation.
Côté scène, le plateau est exceptionnel même si le ténor Florian Laconi manque lui aussi de finesse dans le rôle de Gérald, à notre grande surprise. L’instrument vocal est puissant, mais manque de “variation”; nous avons l’impression d’assister davantage à une autre “démonstration de force” là où l’on attend de la douceur et une démonstration de nuances.
Nicolas Cavallier offre pour sa part un Nilakantha éblouissant, profond, dans une belle palette vocale, tout en justesse dans la diction, la voix, ou encore le jeu : à la fois belle figure d’autorité, mais aussi père aimant et trop protecteur. Julie Boulianne fait une Malika splendide dans chacune de ses interventions, notamment dans le Duo des fleurs tant attendu où l’harmonie avec Sabine Devieilhe donne une leçon d’homogénéité et de justesse. Ludivine Gombert et Chloé Briot forment un duo Miss Ellen et Miss Rose tout à fait agréable, tandis que Julie Pasturaud fait une Miss Bentson très amusante sans pour autant pécher dans la voix. Le baryton Christophe Gay clôt avec brio ce groupe d’anglais, parfaitement à la hauteur des attentes, aussi importantes soient-elles ici.
Si la mise en scène de Lilo Baur brille par sa sobriété et ses lumières équilibrées, avouons que la pièce maîtresse de cette production reste Sabine Devieilhe et son interprétation éblouissante du rôle-titre. Lors de son Live-Tchat, elle avait confié : “mon regard sur Lakmé évolue, et peut-être en même temps que ma voix, mon approche se tourne parfois vers le côté sombre de cette jeune fille. Le tout est de ne pas oublier les clochettes mais de les nourrir du drame”. C’est effectivement une Lakmé plus mâture que nous avons pu entendre, plus “sombre” ou dramatique car peut-être moins fragile qu’il y a deux ans. Si nous nous souvenons encore de “l’Air des clochettes” entendu au Comique et marquant par cette fragilité ténue, mais ô combien juste, c’est un air plus solide, plus sûr, mais toujours magnifique que nous entendons, entraînant les applaudissements et les bravos d’un public qui était déjà conquis après la première note de “Blanche Dourga, pâle Siva!” par cette voix et cette technique difficilement comparable. Sabine Devieilhe parvient à renouveler la beauté de sa première interprétation sans pour autant que cette dernière en pâtisse. Le dernier air, “Tu m’as donné le plus doux rêve”, chant du cygne de Lakmé, fait naître une émotion dans une parfaite justesse, tant dans les pianissimi que dans le jeu ou dans chacune des notes que chante la soprano. Finalement, en ce jour de printemps, la plus belle des fleurs à s’épanouir est sans conteste Sabine Devieilhe qui “nous donne le plus doux rêve…”
© Cécric Delestrade/acm-studio