
La Clemenza di Tito à l’OnR : quand une mise en scène fluide et intelligente rencontre de brillants interprètes
La Clemenza di Tito actuellement à l’Opéra National du Rhin est tout simplement un événement à ne pas manquer. Rarement un opéra réunit tant de qualités pour si peu de défauts : le plateau est admirablement servi par des interprètes qui, non contents de maîtriser leurs cordes vocales, maîtrisent aussi celles du jeu sur scène et nous présentent des personnages loin de la caricature (dans laquelle il serait parfois aisé de tomber), crédibles et même extrêmement riches. On perçoit toute la complexité de chacun d’eux dans cette œuvre fameuse de Mozart, magnifiquement transposée ici dans les années 50.
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La mise en scène de Katharina Thoma est très intelligente ; on y sent une réelle réflexion et une maîtrise de la pièce et de sa partition dès l’ouverture où nous sommes emportés dans le tourbillon des passions et des dilemmes des personnages : Titus renonçant à Bérénice par devoir, Sextus amoureux et soumis à une Vitellia qui s’intéresse principalement à elle-même, puis Annius et Servilia jeune couple heureux qui ne connaît pas encore de tragédie. On sent également que la mise en scène est travaillée jusque dans les moindres détails et dans la chorégraphie des déplacements des personnages. On note, par exemple, la disposition des bustes qui termine par un miroir sur le mur dans la pièce attribuée à Vitellia, ou encore le moment où Sextus s’effondre davantage qu’il ne s’assied sur le fauteuil de sa bien-aimée en chantant « Parto ».
L’idée du plateau tournant rassemblant quatre lieux (voir la vidéo ci-dessous) permet également d’apporter une extrême fluidité et d’inclure le principe de fondu enchaîné sur scène : un personnage peut ici débuter son aria dans un des décors puis descendre du plateau. Ce dernier commence alors à faire défiler les pièces et nous montre les autres personnages au même instant, dévoilant parfois les conséquences ou impactes d’une décision sur eux (comme lorsque Servilia s’effondre de chagrin tandis que son frère est condamné). Nous revenons ensuite au décor originel dans lequel le héros chantant remonte pour la reprise du début de son air ainsi que de l’action. Il est également possible aux artistes de changer de pièce dans un même air, apportant un certain naturel et un réalisme qui sort du statisme des mises en scène plus usuelles.
Côté interprétation, il faut admettre que nous oscillons ici entre « bon » et « excellent ». Deux noms se détachent cependant du reste de la troupe : Jacquelyn Wagner et Stéphanie d’Oustrac (qui a également sorti un album de mélodies françaises en octobre dernier). La première campe une Vitellia imposante et complexe, manipulatrice et victime, tandis que la seconde donne vie à un Sextus en proie à ses désirs, totalement tiraillé entre deux amours et deux fidélités : un amour passionnel envers Vitellia et la profonde amitié jusque-là indéfectible envers Titus. Au service de ces jeux d’actrices, deux voix et deux techniques impressionnantes. Les pianissimi de Stéphanie d’Oustrac à l’acte III sont un véritable moment de grâce et l’on se demande comment il est possible de rester aussi audible tout en pénétrant à peine l’air de sa voix, comment à peine effleurer l’oreille tout en y pénétrant efficacement jusqu’au cœur.
L’indécision et le manque de passion amoureuse (une fois Bérénice à nouveau exilée) sont très bien servis par un Benjamin Bruns qui porte à la scène un Titus étant davantage spectateur de sa vie et acteur de la politique et du devoir. Anna Radziejewska s’investit quant à elle dans le personnage d’Annius malgré une prononciation pas toujours égale dans le rôle de ce jeune homme amoureux et fidèle en amitié, inconscient de la complexité de la vie tout en apparaissant comme les prémices d’un Titus : lui aussi est prêt à renoncer à l’amour par devoir envers son empereur et est fortement lié à Sestus. Enfin, si son timbre de voix et son jeu faisaient d’elle une bourgeoise idéale dans La Chauve-Souris, nous découvrons ici une Chiara Skerath très bonne tragédienne qui ne laisse pas pour autant de côté une certaine légèreté dans les moments qui le permettent. Cependant, bien que cela ne soit absolument pas gênant, il est vrai qu’on ne serait pas contre encore un peu plus de finesse dans l’interprétation scénique de cette Servilia qui nous offre par ailleurs une scène déchirante avec Annius dans le premier acte et un réel investissement dans chacune de ses apparitions.
La direction musicale d’Andreas Spering est elle aussi à relever ici, servant merveilleusement et de façon assez enlevée la partition, restant à l’écoute des interprètes et cherchant à jouer avec eux et non par-dessus eux. Ainsi, nous pouvons entendre les graves de Jacquelyn Wagner grâce à l’orchestre qui prend réellement en compte sa voix. Indubitablement, on sent que les chanteurs peuvent s’appuyer sur leur chef et qu’il est question d’une seule et même équipe entre les musiciens et eux.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur cette superbe production aux multiples qualités et dont le final, bien que sans grande surprise, clôt l’opéra pour mieux ouvrir notre réflexion personnelle. Un grand moment que l’on ne peut que vous encourager à vivre, que cela soit à Strasbourg ou à Mulhouse, en espérant également une captation vidéo pour pouvoir revivre ces 2h30 de spectacle intense.
© Kaiser