À Deauville, l’excellence de la musique de chambre chez les pur-sang
Deauville a accueilli cette année encore le Festival de Pâques dans la mythique salle de Brignac-Arqana, salle de vente aux enchères de pur-sang. Pour sa 27e édition répartie sur huit concerts en trois week-ends, plus de 50 musiciens ont interprété des chefs-d’œuvre connus et moins connus de Monteverdi à Schnittke, en passant par Mozart, Schubert, Dvorák, Martinù…
C’est un véritable incubateur de jeunes talents, et des générations de musiciens de chambre s’y sont succédé depuis la création du festival par Yves Petit de Voize en 1997. En trois décennies, Deauville est devenu un lieu de référence pour connaître les noms des chambristes qui vont occuper les scènes internationales.
Musique tchèque en majesté
Notre week-end commence par un concert à 100 % tchèque avec des œuvres de Dvorák et de Martinu, sous le signe des danses. Les violonistes David Petrlik et Perceval Gilles et l’altiste Lise Berthaud réalisent des dialogues plaisants dans Terzetto de Dvorák, notamment un Scherzo bien « tchèque » comme on l’aime (qui fait d’ailleurs écho au Scherzo du Quintette entendu dans la deuxième partie), alors qu’une note plus tragique dans le mouvement final aurait été la bienvenue. Dans le délectable Quintette pour cordes et piano du même compositeur, le pianiste Gaspard Thomas prend sa part pour la première fois au festival de Pâques, et ce, avec brio. Le violoncelle d’Adrien Bellom soutient l’ensemble avec assurance grâce à son jeu ample et généreux. Au milieu du programme, avec Nina Pollet (flûte), Philibert Perrine (hautbois), Joël Christophe (clarinette), Marceau Lefèvre (basson) et Manuel Escauraiza Martinez-Penuela (cor), le Nonette de Martinu est une excellente occasion d’apprécier les beaux et harmonieux pupitres de vents, où la souplesse naturelle des phrasés offre un moment particulièrement joyeux. Le contrebassiste Yann Dubost, incontournable dans le répertoire de chambre et habitué du festival, y ajoute pleinement son savoir-faire pour donner à l’œuvre une dimension orchestrale.
Plaisir des vents et des cordes
Pour le concert du lendemain, les vents reprennent leur place sur scène, tandis que les rejoignent les nouveaux arrivants, qui sont déjà de bons camarades de Deauville : les violonistes Pierre Fouchenneret et Vassily Chmykov, la violoncelliste Caroline Sypniewski, et le clarinettiste Amaury Viduvier. Dans l’Adagio et rondo de Mozart, le pianiste Ismaël Margain soigne particulièrement l’intimité, dans une sonorité cristalline. Tente-t-il d’imiter le son de l’harmonica de verre pour lequel cette petite pièce a été écrite ? La flûte et le hautbois s’intègrent aux cordes avec bonheur, eux aussi avec un caractère intime, comme s’ils étaient dans un salon privé. En revanche, dans le Quintette pour piano et vent, toujours de Mozart, le jeu devient plus large et expressif. Dans le premier mouvement à un tempo modéré, les imitations entre différents instruments sont remarquables. Ils choisissent un tempo assez lent pour le mouvement suivant, probablement pour mieux insister sur la tension vers la fin qui met en suspension tout ce qui précédait. L’Octuor pour cordes et vents de Schubert, dans la deuxième partie de la soirée, est un véritable kaléidoscope sonore. Le magnifique cor du début cède à un scherzo dansant en bonne humeur, puis un moment de grâce dans les variations ; on retrouve ensuite le cor, toujours splendide, avec des cordes plus discrètes, avant d’assister à une conclusion virtuose et subtile à la fois, parfaitement réalisée grâce à une écoute mutuelle.
Le concert final avec Le Poème Harmonique et Stéphanie d’Oustrac
Le dernier concert de la 27e édition est confié au Poème Harmonique et à Stéphanie d’Oustrac, dans le spectacle « Mon Amant de Saint-Jean ». Le programme, qui a déjà remporté un grand succès discographique (Alpha), mêle du baroque (Marais, Monteverdi, Cavalli…) à des chansons d’Yvette Guilbert, de Cora Vaucaire et bien d’autres encore. Aux instruments baroques se joint l’accordéon tenu par Vincent Lhermet. La mezzo-soprano et l’accordéoniste sont déjà sur place pendant que les spectateurs gagnent leurs places avant le concert, en entonnant des refrains, en mettant des partitions sur chaque pupitre… Leurs attitudes sont si naturelles que certains auditeurs les prennent pour des régisseurs qui vérifient le plateau ! À travers ce programme, Stéphanie d’Oustrac incarne un personnage historique et raconte une histoire, celle de Marie Dubas, comédienne et chanteuse d’origine modeste devenue vedette d’opéra et d’opérette. Pour illustrer sa gloire, la mezzo chante le Lamento d’Ariana de Monteverdi et « Lassa, io vivo » (L’Egisto) de Cavalli en robe aux fils d’or. Le moment est sublime. Mais notre cantatrice est un véritable caméléon aux mille couleurs, car quelque temps après, elle chantonne les coquines Nuits d’une demoiselle de Raymond Legrand ! Vincent Dumestre dirige de son luth les musiciens de l’ensemble qui, visiblement, éprouvent un fou plaisir à jouer ces pièces extrêmement différentes des unes des autres. Le spectacle se termine avec Mon Amant de Saint-Jean d’Emile Carrara, qui a donné son titre au programme. À la fin, Stéphanie d’Oustrac s’effondre par terre, symbolisant la fin de la carrière et de la vie amoureuse de Marie Dubas. C’est avec une ovation debout que le concert se termine ; c’était aussi la conclusion en beauté du Festival de Pâques.
A suivre :
Le petit frère du Festival de Pâques, Août musical de Deauville tiendra sa 22e édition du 30 juillet au 12 août, mêlant des concerts et des tables rondes.