Opéra
La Cendrillon d’Ermanno Wolf-Ferrari à l’OnR

La Cendrillon d’Ermanno Wolf-Ferrari à l’OnR

19 December 2015 | PAR Elodie Martinez

Parallèlement à La Traviata qui se joue à Strasbourg, l’OnR a donné à Colmar en création française la Cendrillon d’Ermanno Wolf-Ferrari, jouée ici du 16 au 18 décembre avant de partir à Strasbourg et Mulhouse en janvier. Cette courte oeuvre d’une heure environ créée à Venise en 1900 est présentée comme un “opéra pour enfants”, ce qui n’a rien de choquant compte tenu du thème abordé et de la nature de conte de fée. Pour ce qui est de la forme, en revanche…

[rating=3]

Si la première version de 1900 était d’après le conte de Perrault, le texte originel de Maria Pezzé-Pascolato a été complété en 1937 par Franz Rau, basculant de l’influence de Perrault à celle des frères Grimm. La mutilation infligée à Javotte et à Anastasie nous montre bien que nous sommes loin de Disney! En effet, l’une se coupe l’orteil et l’autre le talon afin de pouvoir faire rentrer leurs pieds dans la chaussure de verre.

La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole se situe à Berlin en pleine Guerre Froide et s’inspire d’un fait réel : l’histoire d’amour de deux adolescents berlinois, Joachim et Christa. Le prince est ici à l’Ouest du mur tandis que Cendrillon est à l’Est. Difficile toutefois de voir cette lecture, lecture que l’on connaît donc uniquement par le programme et l’enregistrement d’une voix nous lisant : “Alors, j’ai très violemment ressenti que la distance qui nous séparait n’était que de quelques kilomètres à pied! S’il n’y avait pas eu le mur, on aurait pu se rejoindre en quelques minutes…” Certes, on voit bien une séparation physique entre les deux personnages, mais il reste difficile d’accoler cela au mur de Berlin, d’autant plus que les costumes rappellent davantage un univers punk ou néo-punk.

L’autre lecture, plus accessible, rejoint un univers onirique dans lequel Cendrillon serait le fruit de l’imagination ou du fantasme du Prince imaginant peut-être cette figure féminine d’après une lettre reçue de celle qu’il aime. Il faudrait alors penser que tout ce que nous voyons n’est probablement qu’une illusion, que rien est réel à part l’univers sombre dans lequel évoluent les personnages. Heureusement, peu de chance pour que les enfants perçoivent réellement cette vision très sombre : ils semblent plutôt s’en tenir au conte qu’ils connaissent bien. Pas de fée ou de magie toutefois dans ce livret, ce qui n’enlève rien à l’histoire, Cendrillon étant alors aidée et habillée par trois Sylphides.

Outre la mise en scène, notons les transformations de l’oeuvre : d’abord les différentes versions de 1900, 1902, 1937 puis la traduction française et l’adaptation actuelle par Vincent Monteil, également à la tête de l’Ensemble orchestral de l’Académie supérieure. Au texte remanié s’ajoute un travail sur la partition qui l’a assez réduite, ce qui ne serait pas gênant sans des ajouts de bruits parasites tels qu’une sirène, des accords de guitare, la guitare électrique ou encore la bande sonore de “Bang Bang” de Nancy Sinatra. On pourrait peut-être se demander pourquoi ne pas avoir incorporer alors au moins quelques notes de Cendrillon de Téléphone dont l’univers sombre et réaliste, bien que différent de la vision de Marie-Eve Signeyrole, la rejoint tout de même.

Malgré une liberté d’expression ainsi parfois réduite, l’orchestre et le direction de Vincent Monteil laisse entendre une belle conviction et un bel investissement de la part de ces artistes.

Côté voix, c’est la chance d’entendre l’Opéra Studio de l’OnR avec Francesca Sorteni dans le rôle-titre, incarnant une Cendrillon convaincante et colorée dans cet univers sombre. Mention spéciale à la Marâtre, Coline Dutilleul, qui marque les esprits tant par son jeu que par sa voix. Comment ne pas frémir lorsqu’on la voit avec ce gros couteau de cuisine posé contre les pieds de ses filles? Ces dernières sont d’ailleurs exceptionnellement complexes ici : loin de sen tenir à la simple image de filles mauvaises de nature, suivant l’exemple de leur mère, Rocio Pérez et Gaëlle Alix nous font voir deux être qui semblent vouloir imposer la peur pour convaincre celle qu’elles ressentent. Cruelles mais terrifiées par leur mère, elles en sont ici aussi des victimes aux voix superbes, mais malheureusement assez peu entendue (la faute au livret). Le Prince, qui était alors Camille Tresmontant, fait entendre un très beau timbre (et certaines notes absolument splendides), de même que ses autres partenaires masculins. Les dictions sont toutes très bonnes, tant dans le parler que dans le chanter, même si la plupart des passages ensemble rend les paroles incompréhensibles par leur superposition (ce qui n’est encore une fois en rien la faute des interprètes).

En résumé, nous avons ici un cadre que l’on s’étonne de voir pour un spectacle présenté comme un opéra “pour enfants”. Certes assez peu conventionnel, il faut bien admettre que les enfants de la salle semblent parfaitement s’en accommoder et se laisser entraîner dans l’histoire, grâce aux très bons artistes présents sur scène. Les enfants semblent donc plus convaincus que les adultes, plutôt mitigés.

Une fois n’est pas coutume, l’OnR publie parallèlement au spectacle un livre de très belle qualité à un prix imbattable (5 euros), disponibles dans ses salles de spectacles ainsi que dans certaines librairies. Un beau moyen de poursuivre le spectacle ou bien de (re)découvrir ce conte par Antoine Bouteiller, à la fois plume et pinceau de cette version. Il ne s’agit ni plus ni moins que du conte originel, mais rendu plus accessible et en écho bien sûr à l’opéra donné actuellement.

©Alain Kaiser

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

One thought on “La Cendrillon d’Ermanno Wolf-Ferrari à l’OnR”

Commentaire(s)

  • FRANCOIS

    De très belles voix et un orchestre à la hauteur. Mais une mise en scène noire et même “gore”, absolument inadaptée à un jeune public. Indépendamment d’un point de vue d’adulte, il suffit de regarder les enfants à la sortie du spectacle pour constater que, contrairement au commentaire ci-dessus, ces derniers n’ont pas été “convaincus”: pas un sourire, des visages fermés et inquiets…J’y ai emmené ce dimanche mes 2 petites-filles de 6 ans et 8 ans et leur réaction a été : “c’est pas la vraie Cendrillon, Papini? On a eu peur, surtout quand les méchantes sœurs ont eu les orteils et le talon coupés”. J’ai eu beau leur expliquer que ce n’était pas la réalité, elles m’ont répondu “Si! Il y avait du sang partout”… Certains spectacles à la télé et ailleurs précisent prudemment (et parfois de manière excessive): “Attention! Certaines scènes peuvent choquer un jeune public”. Pour ce spectacle résolument positionné comme un “opéra pour enfants”, aucun avertissement de ce type! C’est tout simplement irresponsable! Et ce sont les parents qui vont avoir à réparer les dégâts. Ou est la merveilleuse “belle au bois dormant de l’an dernier?
    Ceci dit, tant artistiquement que techniquement, une production de qualité… à réserver aux adultes!

    January 11, 2016 at 3 h 31 min

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