Opéra
Jessica Pratt illumine Rossini, Donizetti et Verdi à Pesaro

Jessica Pratt illumine Rossini, Donizetti et Verdi à Pesaro

16 August 2020 | PAR Paul Fourier

La soprano, bien que peu aidée par le chef, a offert le 14 août 2020, à l’occasion du Rossini Opera Festival de Pesaro, un superbe concert, en italien et en français, dédié aux trois génies italiens.

À Pesaro, lorsque l’on arrive sur la Piazza del Popolo, on tombe inévitablement, en façade du bâtiment de La Poste, sur la statue de celui qui inspire tant cette petite ville balnéaire des Marches, le maestro Gioachino Rossini. Le 14 août 2020, à l’autre extrémité, sur la grande scène du festival qui lui est consacré (certes modifié cette année, mais, malgré tout, très excitant), se trouvait l’une de ses plus grandes interprètes qui brilla ici-même, dans de nombreux ouvrages (notamment Adelaide di Borgogna en 2011, Ciro in Babilonia en 2012 et Demetrio e Polibio l’année passée), contribuant ainsi à participer à la “Rossini renaissance” sur fond de nouvelles recherches musicologiques.

Ce soir, les airs du Comte Ory, de Tancredi et du Siège de Corinthe étaient à l’honneur avant que le programme ne bascula sur deux successeurs géniaux de Rossini : Donizetti et Verdi. De surcroît, rendant hommage à sa façon aux deux pays de Rossini (et de Donizetti), Jessica Pratt alterna airs en français et en italien.
Seulement, pour magnifier Rossini, il faut en avoir l’esprit. Et le chef, Alessandro Bonato et le Filarmonico Gioachino Rossini en manquèrent singulièrement pour toute cette première partie, jouant les ouvertures comme des pièces symphoniques avec des tempi d’une mollesse parfois exaspérante, au regard du virtuose du rythme qu’était le maître de Pesaro. Lignes trop étirées, cadences défaillantes, lenteurs puis accélérations impromptues, pupitres trop homogènes, le chef nous a ainsi fait une cruelle démonstration de son manque d’adéquation avec cette musique qui doit pétiller même dans l’opéra seria.
Cela ne fut pas sans poser problème à l’interprète, même si celle-ci a les ressources requises pour s’adapter. Ainsi, en début de soirée, pour l’air de la Comtesse Adèle, alors que la voix doit se chauffer, elle n’est guère aidée par des cadences sur lesquelles elle est bien en peine de s’appuyer. Si l’air est parfaitement interprété, on se doute que la cabalette aurait pu refléter bien mieux, et avec plus de folie, l’ironie de la scène de « en proie à la tristesse ».
L’affaire est mieux gérée avec le récitatif « Gran dio ! Deh, tu proteggi » d’Amenaide dans Tancredi. Jessica Pratt, exploitant la lenteur qui lui est infligée, déploie ses phrases, mais la transition vers l’air « Giustio Dio che umile adoro » s’avère lourde et le rythme imposé par le chef fait par trop traîner les vocalises, même si la chanteuse en tire profit pour exécuter de belles variations.
On fera les mêmes reproches pour l’ouverture du Siège de Corinthe et l’on attendait, forcément avec impatience, la sublime et impossible partie (14 minutes) de Pamyra du siège de Corinthe, qu’immortalisa définitivement Bevely Sills lors des historiques représentations de la Scala en 1969.
Pratt ne déçoit évidemment pas dans le « Que vais je devenir ? » et son cortège infini de vocalises ; la suite (« Ô Patrie infortunée ! ») est à l’avenant et l’on assiste à du grand art avec ce souffle maitrisé, ces vocalises lentes parfaites, ces aigus souverains.
Nonobstant la direction toujours aussi pesante, la cabalette finale sera une démonstration éclatante de chant rossinien dans la plus pure tradition.

Sans atteindre des sommets, on trouve enfin un peu plus de vivacité du côté de l’orchestre pour Donizetti avec Don Pasquale et La fille du régiment.
Jessica Pratt est évidemment à son aise chez le compositeur, même si on a plus coutume de l’entendre dans ses pièces plus dramatiques. Elle s’en donne ainsi à cœur joie dans la cavatine de Norina, multipliant les effets, figurant l’espièglerie avec le talent d’une habituée retrouvant ses marques et son domaine de prédilection. C’est, enfin, avec Marie de La fille du régiment qu’elle nous donne une démonstration littéralement hypnotisante de caractérisation, dans un air tout en contraste. D’abord touchante, elle allie la mélancolie de « C’en est donc fait » au feu d’artifice final d’un « Salut à la France » explosif.
Après les discordances du début, souveraine, la chanteuse a totalement repris la main. Elle pourra ainsi oser le grand air d’un rôle qui s’affirme déterminant pour son avenir : Violetta. Les deux parties de l’air de la fin de l’acte 1 seront également un parfait jeu de contrastes (même si on l’eût préférée, dans le jeu, moins affectée au début et moins rageuse à la fin), alliant pareillement ce chant empreint de vague à l’âme dans le « E strano » avec la virtuosité du « Sempre Libera », où la sublime héroïne de Verdi doute encore avant de s’enfoncer inexorablement dans son destin. On espère l’entendre – si le virus le permet – dans le rôle intégral prochainement à Naples ou ailleurs.

Le public, un peu sceptique au début de la représentation, exulte. L’artiste est rayonnante et c’est, en folie, avec l’un de ses autres rôles fétiches, Linda di Chamounix, qu’elle clôturera une soirée portée par l’amour qu’elle porte au bel canto.

© Paul Fourier

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Paul Fourier

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