Opéra
Fantaisie onirique à Montpellier

Fantaisie onirique à Montpellier

11 May 2019 | PAR Gilles Charlassier

Initiant une résidence pluriannuelle à Montpellier, Ted Hufffman met en scène un poétique Songe d’une nuit d’été de Britten, auquel participe le Choeur Opéra Junior, programme d’immersion lyrique unique en France, sinon en Europe.

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A rebours des cabales, dont certaines ont tribune plus ou moins médiatique, Valérie Chevalier poursuit depuis le début de son mandat une exploration renouvelée du répertoire lyrique, en rassemblant l’ensemble des forces de la maison. Faisant redécouvrir un ouvrage de Britten relativement rare sur les scènes, du moins françaises, Le Songe d’une nuit d’été, l’avant-dernière production de la saison en offre l’illustration. Confiée à Ted Huffman, qui signe ici son entrée en résidence pluriannuelle dans l’institution occitane, elle témoigne d’un sens de la continuité dans la programmation que l’on retrouve par ailleurs dans une distribution qui fait appel, pour les babils juvéniles des fées, aux effectifs du Choeur d’Opéra Junior, alternative originale aux habituelles maîtrises, bien ancrée dans le paysage montpelliérain et à l’ambitus sociologique et générationnel plus large – des bambins au seuil de l’âge adulte – qui mêle initiation pédagogique et immersion au cœur de l’excellence artistique.

Dessiné par Marsha Ginsberg, le plateau dépouillé, d’une pâleur grise et lisse aux effets de miroir, rehaussée par les lumières de D.M. Wood, se fait presque page blanche pour l’imagination, écrin idéal de l’atmosphère de fantaisie onirique de l’intrigue shakespearienne, traduite dans une esthétique baigné de teintes lunaires quasi surréalistes, évoquant Tanguy ou Delvaux. La foule de créatures féeriques prend l’allure, sous le crayon d’Annemarie Woods, qui a imaginé les costumes, de poupons en faïence, figés en costume-cravate sombre, tandis que le vestiaire des amants athéniens et de la troupe « rustique » esquisse une habile variation sur les codes de l’époque élisabéthaine. Meublée à peine de quelques accessoires mobiles, en particulier dans le vaudeville des amours de Tyrame et Tisbé, l’économie scénographique restitue admirablement le jeu sur les artifices théâtraux, jusque dans la suspension de Puck aux cintres, pantin capricieux et cabotin aux ordres d’Oberon qui redescend sur scène à la fin de la soirée et se libère de ses cordages acrobatiques : tout cela n’était qu’illusion et divertissement, pour le plus grand plaisir du public. Efficace et poétique, ainsi se révèle le travail de Ted Huffman, qui n’a pas besoin de trahir la lettre de l’ouvrage.

Maîtrisant sans réserve la langue de Shakespeare, la distribution vocale affirme une belle homogénéité. James Hall condense dans son contre-ténor clair et bien projeté la détermination d’Oberon. Florie Valiquette lui donne la réplique en Tytania toute de fraîcheur séduisante. Dévolu à Thomas Alkins et Roxana Constantinescu, le couple sentimental formé par Lysander et Hermia contraste avec le comique des amours contrariés entre le Demetrius robuste de Matthew Durkan et le caractère bien trempé de Marie-Adeline Henry en Helena. Le sextuor rustique ne manque pas de saveur, entre le Bottom à la ligne nourrie et aux graves bonhommes de Dominic Barberi et le Quince à l’âme de régisseur de Nicholas Crawley, en passant par le ténor de caractère de Paul Curievici, idoine en Flute, alias Thisbé, quand Colin Judson revêt la défroque de Snout, sans oublier le Snug de Daniel Grice et le Straveling de Nicholas Merryweather. A Richard Wiegold et Polly Leech reviennent le pourpoint ducal de Theseus et Hippolyta. Rôle exclusivement parlé, Puck est déclamé par Nicholas Bruder avec une gourmandise qui n’a d’égal que la clarté subtilement affectée de son élocution. Dans la fosse, Tito Muñoz s’attache à faire vivre l’originalité exquise d’une partition exigeante, qui expose les pupitres d’harmonie, de percussions et de cuivres. Un défi redoutable que les musiciens de l’Orchestre national Montpellier Occitanie relève presque sans encombre, signe de la stabilité qualitative retrouvée de la phalange languedocienne. Une prise de risque réussie pour Valérie Chevalier et sa maison, et qu’il convient de saluer.

Gilles Charlassier

Le Songe d’une nuit d’été, Britten, mise en scène : Ted Huffman, Opéra Orchestre national Montpellier, mai 2019

© Marc Ginot

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Gilles Charlassier

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