La dramatique identité d’une femme sous fond de génie shakespearien
Le théâtre de Gennevilliers nous embarque dans l’introspection intime et manifeste d’une femme dont le destin n’est tracé que par le regard de l’homme qui l’entoure. Institut Ophélie nous raconte la parole d’une femme pour explorer les mécanismes de cloisonnements et d’oppressions patriarcales dans une pièce brillante et affolante signée Olivier Saccomano et Nathalie Garraud.
Drôle et humaine, cette épopée “dramatico-génétique” convoque les grandes références artistiques comme l’artiste Andy Warhol ou l’éternel féminin représenté par la Joconde. Malgré sa volonté d’échapper à son destin, la figure d’Ophélie par Shakespeare devient symbole de cette lutte féminine inconditionnelle. Reprise par de nombreux artistes comme Millais ou encore Cabanel, Ophélie représente aussi cette femme noyée dans le ruisseau, et dont la mort reste entourée d’un mystère sans fin. Une représentation picturale qui prendra tout son sens dans l’interprétation qu’en fait Conchita Paz, dont le personnage n’est sans cesse accablé par la peur d’être figé dans une ébauche qu’on aurait fait d’elle.
Incarnée par les désillusions d’un futur nostalgique, la comédienne Conchita Paz reflète quelque chose, quelqu’un ou peut-être elle-même; une simple femme sans titre et dont on ne sait pratiquement rien. Attachée à une vision shakespearienne de l’art dramaturgique, chaque tableau présenté dans la pièce nous renvoie à cette jeune femme piégée entre les murs d’une histoire qui n’est pas sienne et dont le personnage nous évoque le nom d’Ophélie.
D’un air occupé et à l’image de la figure d’Hamlet, elle mène une réflexion sur son âme et part la recherche d’un regard intérieur, capable de donner sens à sa condition. Comme pour illustrer physiquement son introspection, la femme qui était alors en dehors du décor, se lance d’un pas défiant vers cette pièce aux murs ajourés d’une collection de portes. “Vous voyez une femme”, exprime-t-elle, avant de se lancer dans une description minutieuse et presque médicale de ce qui l’entoure pendant plusieurs minutes. Une simple lumière froide s’écrase sur le sol en ligne droite et révèle un cadre sobre et lugubre, composé d’une table et de quelques chaises.
Elle donne vie aux divers combats féminins de l’histoire à travers une valse déroutante, hantée par les spectres de sa pensée. A la manière d’Ophélie dans Hamlet, elle laisse porter sa voix sur la ridicule réalité qui se forme devant ses yeux et tente désespérément de se délivrer de cette image instituée de la femme qu’on ne cesse de lui coller. Les récits et les visages s’enchaînent à travers les époques et laissent apercevoir au public, la partie désenchantée de l’histoire dans une satire théâtrale des grandes figures autoritaires de notre société.
Pendant la Grande Guerre, les femmes ne sont perçues qu’au travers de leur appareil génital, essentiel au “repeuplement d’un pays”. On nous évoque alors sur scène le consentement du viol de Marie par “le Père, le Fils et le Saint-Esprit”, avant de porter notre regard vers un avortement clandestin puis sur un complot antimilitariste. Malgré la poussée excessive du débat féministe nous emmenant vers un caractère halluciné de la pièce, le travail à quatre mains réalisé par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, parvient à conserver cette poésie du langage inhérente de l’œuvre de Shakespeare.
“Une ruine n’est douloureuse à voir que pour l’homme incapable de participer par son action à la conquête du présent”. Tirée d’une citation d’Elie Faure, la jeune femme conclut le tableau dans un silence presque anormal, sans que l’on ne sache réellement si le point final de l’histoire est écrit, ou si la figure d’Ophélie est inéluctablement destinée à revivre les fantômes de son passé et les démons de son futur.
VISUEL : ©Jean-Louis Fernandez
Du 12 au 23 janvier au T2G.
Une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano
Écriture Olivier Saccomano
Mise en scène Nathalie Garraud
Avec Mitsou Doudeau, Zachary Feron, Mathis Masurier, Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaidou, Charly Totterwitz, Maybie Vareilles
Scénographie Lucie Auclair, Nathalie Garraud
Costumes Sarah Leterrier
Lumières Sarah Marcotte
Son Serge Monségu
Assistanat à la mise en scène Romane Guillaume
Production Théâtre des 13 vents CDN Montpellier
Coproduction Les Quinconces et L’espal — Scène nationale Le Mans ; L’empreinte — Scène nationale Brive-Tulle ; Théâtre de l’Archipel — Scène nationale de Perpignan ; Centre dramatique national de l’Océan Indien ; La Comédie de Reims — Centre dramatique national ; Les Halles de Schaerbeek — Bruxelles ; Châteauvallon-Liberté — Scène nationale ; Le Parvis — Scène nationale Tarbes-Pyrénées ; Théâtre du Bois de l’Aune
Avec le soutien du Fonds d’insertion de L’éstba financé par la Région Nouvelle-Aquitaine