Opéra
Iphigénie en Tauride à Montpellier, l’ambivalence du tragique

Iphigénie en Tauride à Montpellier, l’ambivalence du tragique

20 April 2023 | PAR Gilles Charlassier

Après Le Barbier de Séville en septembre 2020 par temps de pandémie et Tosca en mai 2022, Rafael R. Villalobos revient à Montpellier avec une nouvelle mise en scène d’Iphigénie en Tauride de Gluck, coproduite avec l’Opéra des Flandres et le Théâtre de la Maestranza de Séville. Vanina Santoni incarne le rôle-titre sous la direction de Pierre Dumoussaud.

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Territoire correspondant à l’actuelle presqu’île de Crimée, la Tauride où Iphigénie a été exfiltrée en tant que prêtresse de Diane ne peut manquer d’entrer en consonance avec la présente situation géopolitique aux portes de l’Europe. Pour autant, la mise en scène de Rafael R. Villalobos ne cède pas à la facilité de l’actualisation unilatérale, et s’en sert d’abord pour évoquer les luttes fratricides dans la lignée des Atrides, dans un versement d’un sang commun pareil à celui sur les terres ukrainiennes. De même, la mise en abyme théâtrale, rappelant le drame de Marioupol où le refuge s’est transformé en piège, reprend d’abord le fil de la tragédie familiale, avec quelques citations des sources antiques qui ont inspiré le livret de Nicolas-François Guillard : les mots d’Agamemnon après le sacrifice de sa fille en incipit, mais aussi ceux de Clytemnestre dans Electre de Sophocle, après l’entracte, qui donnent une autre perspective au mythe.

Dans le décor de gradins de théâtre dévasté par la guerre, et dessiné par Emanuele Sinisi – aux mêmes tonalités anthracites que les costumes, avec des pantalons parfois marqués par le militaire, pour marquer visuellement l’ambivalence morale des personnages et des situations, qui est celle de la vie même selon le metteur en scène –, le réel et les hallucinations se mêlent, sans le secours, désormais trop fréquent sur les scènes, à la vidéo. Sous les lumières de Felipe Ramos qui se teintent à l’occasion de rouge sang, l’évocation du petit garçon mort dans les bras d’Agamemnon renvoie à la mort supposée d’Oreste dans les projections oniriques d’Iphigénie, avec un langage imaginaire qui déroute la chronologie, tandis que le ballet d’avatars de Clytemnestre dans le cauchemar d’Oreste fonctionne avec une évidente efficacité. Si le banquet familial au début du troisième acte souscrit à certains tropismes scénographiques régulièrement vus, il concentre à juste dessein le propos sur l’exploration psychologique de la mémoire et des traumas, l’une des colonnes vertébrales de l’opéra de Gluck, et celle que privilégie la présente lecture. L’issue rituelle se révèle plus discutable, entre les pistolets et les bousculades qui sentent un peu le western, et manque sans doute la part de noblesse de la séquence, avant le salut de la famille recomposée tournée vers le fond de scène. La multiplicité des pistes herméneutiques finit par esquiver ça et là la cohérence de l’élan dramaturgique de l’oeuvre.

L’incarnation par les solistes ne s’en trouve pas pour autant diluée, au contraire. Dans le rôle-titre, Vannina Santoni se distingue par la sensibilité de son chant, en particulier dans les récits, dont elle fait vivre les nuances avec une belle intelligence des mots et des sentiments, dans un dramatisme moins appuyé que de coutume. Si l’ampleur de la voix ne se mesure pas aux légendes qui ont abordé le rôle, ni même aux carrures auxquelles il est plus souvent distribué, le lyrisme de son chant ne saurait laisser indifférent, et rend justice à l’esthétique expressive de Gluck. Cette quasi vulnérabilité lyrique contraste avec le reste d’une distribution que l’on pourrait parfois d’expressionniste. En Pylade, le jeune Valentin Thill affirme un métal vigoureux et un engagement qui s’aguerrit au fil de la soirée. A la vaillance d’un ténor dont la robustesse se développera au fil de la maturation répond la déclamation presque brute de Jean-Sébastien Bou qui souligne les linéaments torturés du cœur d’Oreste, quitte à donner une primeur un peu trop marquée à l’expression. En Thoas, Armando Noguera démontre une autorité passablement monolithique, écrasant la ligne de chant. Diane et première prêtresse, Louise Foor séduit au contraire une douceur fruitée et lumineuse. Des effectifs des choeurs, préparés par Noëlle Gény, se détachent Alexandra Dauphin (seconde prêtresse et une autre prêtresse), Dominika Gajdzis (une femme grecque), Jean-Philippe Elleouet-Molina (un scythe) et Laurent Sérou (un ministre).

Dans la fosse, Pierre Dumoussaud prend le parti de tempi allants, sinon vifs, pour se déprendre de la densité des instruments modernes de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. Mais au fil de la soirée, le chef sait s’affranchir du procédé, même si l’on ne refuserait pas, parfois, plus de largeur dans la battue pour aller plus loin dans les intentions que la salutaire nervosité dramaturgique. Il ne faut pas avoir peur de redonner à Gluck, et à Iphigénie en Tauride en particulier, sa place au sein du grand répertoire. Avec cette production, l”Opéra national Montpellier Occitanie y apporte une contribution bienvenue.

Gilles Charlassier

Iphigénie en Tauride, Opéra Orchestre National Montpellier, Opéra Comédie du 19 au 23 avril 2023.

© Marc Ginot

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