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Magnificences chorales au Festival de Rocamadour

Magnificences chorales au Festival de Rocamadour

20 April 2023 | PAR Gilles Charlassier

Placée sous le signe de la fraternité, la 18ème édition du Festival de Rocamadour met à l’affiche deux avatars de l’excellence chorale anglaise : Gesualdo Six dans une mise en regard de la Renaissance et de la musique contemporaine à Martel, et Tenebrae Choir dans un panorama russe et orthodoxe à Souillac.

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L’histoire de la Vierge noire à Rocamadour a un jour croisé le chemin de Francis Poulenc, qui lui a dédié en 1936 des Litanies. Quelques décennies plus tard, la rencontre entre la musique et le pèlerinage séculaire s’est concrétisé en un festival qui s’est donné pour vocation de faire résonner un patrimoine, à la suite des fêtes mariales de l’Assomption, début symbolique de ce rendez-vous au cœur du Lot depuis 2006. Avec la prise de la direction artistique par Emmeran Rollin en 2013, la programmation associée à un stage d’été s’est considérablement étoffée : des commandes d’oeuvres nouvelles, des concerts en saison, la création de l’Ensemble La Sportelle – du nom de la médaille témoignant du passage du pèlerin à Rocamadour – et d’un label discographique.

Dans un contexte qui met à l’honneur la musique anglaise – tirant parti du coup de projecteur médiatique du couronnement de Charles III –, l’ensemble britannique Gesualdo Six vient pour la première fois au Festival de Rocamadour, qui investit pour l’occasion un nouveau lieu, l’Eglise Saint-Maur de Martel. Le parcours que proposent les six chanteurs – deux contre-ténors, un ténor, un baryton, deux basses dont Owain Park, aux graves parlés également surprenants lorsque celui-ci glisse quelques mots d’introduction – dans des configurations variables est une invitation aux couleurs crépusculaires des complies, ces ultimes prières à la tombée de la nuit, dans une habile mise en regard entre répertoire ancien et contemporain. Le tuilage irréprochable des pupitres dans l’homogénéité de la texture chorale s’entend dès les pages augurales de la Renaissance élisabéthaine, de Tallis et Byrd, avec lesquelles Jonathan Seers s’enchaîne comme un décalque modal sans rupture. Après le Flamand Gombert et la médiévale icône Hildegard von Bingen, la pièce du directeur de l’ensemble, Owain Park, séduit par une réinterprétation actuelle du langage tonal, quand Alison Willis s’appuie sur des onomatopées évocatrices dans The Wind’s Warning. Le soyeux de la fusion des tessitures magnifie la douceur des couleurs dans Lumen de Donna McKevitt et l’Abendlied de Josef Rheinberger. L’écriture madrigalesque italienne de Marenzio, Palestrina et Gesualdo se révèle peut-être moins propice à une approche qui privilégie la qualité du grain sonore à l’intelligibilité des mots et de l’articulation, au contraire de l’esthétique nordique de Veljo Tormis et de Gerda Blok-Wilson. Ces cartes postales oniriques préludent à une conclusion tournée vers une lumière douce, avec Tallis et l’opportun Bennett a good-night de Richard Rodney, en un précipité du pont entre les siècles que propose le programme Fading de Gesualdo Six.

Le lendemain, l’Abbatiale Sainte-Marie de Souillac invite un fidèle ami britannique du Festival, Tenebrae Choir, dans un voyage dans les trésors de la liturgie orthodoxe, laquelle a entre autres inspiré Rachmaninov, dont des extraits des Vêpres et de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome jalonnent une soirée qui contribue par ailleurs aux célébrations des 150 ans de la naissance du compositeur russe – il y a également un récital de Nikolaï Lugansky à Rocamadour le 21 août. L’émotion du son qui caractérisait déjà Gesualdo Six se trouve amplifiée dans une plongée au cœur d’un tissu choral défini avec une plénitude exceptionnelle jusque dans des basses abyssales où le timbre n’est jamais altéré. Outre Rachmaninov, le concert fait découvrir des stases ferventes de la main de Chesnokov, Golovanov, Sheremetiev, Kalinnikov, Kedrov, sans oublier des noms bien connus dans d’autres pans du répertoire, Tchaïkovski et Glinka. La scénographie, avec une ouverture partant du fond de la nef pour rejoindre, en une procession composée, la croisée du transept et l’autel musical, participe de cette immersion qui rend superflu la question des paroles. Les beautés des raretés slaves sont accessibles à tous, au-delà du verbe.

C’est cette même ouverture qui s’affirme dans les rendez-vous de la journée, à l’exemple des moments d’orgue le midi à la Basilique Saint-Sauveur de Rocamadour par Quentin du Verdier, dont le dernier album est sorti en avril sous le label Rocamadour – musique sacrée, et qui offre ainsi une initiation à l’instrument, ses mécanismes et ses registres, avec quelques piliers de la littérature pour l’instrument où Bach tient un place éminente. Au Grand Couvent de Gramat les 16 et 17 août, les quatre chanteuses d’Oriscus traversent un millénaire de choeurs en une demi-heure de choeurs. Quant au trio féminin Les Itinérantes, elles proposent des rendez-vous tout au long du festival, à l’instar de la sieste musicale sous les étoiles sur le plateau du Dolmen de Magès. Point d’orgue d’un projet qui fait vivre les harmonies de Rocamadour tout au long de l’année, le festival se confirme ainsi comme un creuset de référence pour la musique sacrée – sinon plus largement pour la voix.

Gilles Charlassier

Festival de Rocamadour, du 15 au 26 août 2023, concerts des 16 et 17 août 2023.

©Alexis Mestre

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