Performance
Pinocchio (live) ou la danse des enfants-pantins

Pinocchio (live) ou la danse des enfants-pantins

11 May 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Au Carreau du Templs, la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette, portée par le Mouffetard – Théâtre de la marionnette à Paris, a invité Alice Laloy et sa Cie S’Appelle Reviens à présenter pour la première fois la performance Pinocchio (live). La proposition est absolument réussie, et construit, malgré tout, une attente qui se résout dans un final magnifique. Beau, intelligent, fascinant : bienvenue à la frontière trouble où l’enfant et le pantin se confondent !

Alice Laloy est une scénographe de grand talent. C’est aussi une artiste très tôt intriguée par la marionnette, qui en a fait le coeur de ses recherches expressives… qui ne se font pas exclusivement en direction d’objets scéniques.

C’est ainsi qu’elle a l’idée, en 2014, de commencer une série de photographies qu’elle intitule Pinocchio(s). Son idée est de jouer à inverser le processus décrit par Carlo Lorenzini dans son roman pour enfants à la postérité impressionnante. Qu’arrive-t-il quand, au contraire, un enfant se transforme en marionnette ? Où est le point de bascule, et que reste-t-il alors de l’enfant dans l’objet qu’il est devenu ?

Ce travail a conduit Alice Laloy a vouloir prolonger l’exploration dans une performance qui figurerait comme un rite de passage, où des adultes, comme des opérateurs neutres et appliqués, transformeraient des enfants en pantins.

En scène, le dispositif est impressionnant. Les treize performeur-se-s sont précédés par un tableau introductif, où les treize enfants se rejoignent graduellement au centre de l’espace de jeu, qui était, pour cette fois, un carré délimité dans le Carreau du Temple. Ce petit groupe tapageur s’étant vite éclipsé, les adultes rentrent en jeu, investissant l’espace dans une lente parade.

Car si rituel il doit y avoir, il ne peut qu’être pris à son point initial : ainsi chaque opérateur s’équipe et monte sa station de travail au vu du public, qui assiste, intrigué, à l’érection d’établis, à la disposition soigneuse des instruments qui seront utiles à la métamorphose. Tout une longue préparation, qui n’est qu’une mise en bouche pour la suite. Les postes de travail alignés, les adultes en blouse aux mines sérieuses, on retrouve les codes de l’atelier en même temps que de petit détails aident à décaler la perception, et préparent à accueillir quelque chose de plus étrange. Tels deux petits contremaîtres tyranniques, deux enfants passent les troupes en revue, rythment leur travail à coups de tambours.

Quand les enfants reviennent, ils ont revêtu des combinaisons protectrices, pour pouvoir faire face à ce qui suit. Les adultes vont alors les accueillir en commençant par peindre les parties visibles de leurs corps en blanc, à l’aide d’un maquillage qu’ils appliquent avec de l’air comprimé, ce qui permet de comprendre pourquoi un grand compresseur peint en rouge trônait depuis le début sur scène.

La métamorphose impliquera de poser des yeux artificiels, aussi écarquillés que fixes, et de faire passer des fils à certaines articulations des membres. Lorsque la transformation est finalement achevée, le résultat est saisissant : gommée, l’individualité des corps, envolées, les marques de ce qui fait la vie, le regard éveillé et le rose des joues ! Les nouveaux pantins sont guidés jusqu’à des chaises, où leurs corps s’endorment définitivement. Quand ils sont prêts, les opérateurs peuvent pousser les corps inertes en tas, au centre de la scène.

Ces tableaux, cette lente transmutation du vivant en inanimé, ont une grande force. L’opération, pour être longue, n’en est pas moins troublante… au contraire. On assiste fasciné au processus qui réifie ces quelques représentants de ce que l’espèce humaine a de plus vivant : des enfants, dont les rires et les jeux, diffusés sur les hauts-parleurs pendant le début du spectacle, résonnent encore aux oreilles des spectateurs.

Le tableau final est cependant le plus fort et le plus émouvant, quand les pantins s’animent pour reconquérir leur mobilité. Un très grand travail a du être fait, non seulement pour trouver les mouvements raides et maladroits de ces pantins qui se souviennent d’avoir été enfants, mais, surtout, pour permettre aux treize jeunes interprètes de danser ensemble, pendant de longues minutes, alors qu’ils ont les yeux fermés !

Au final, cette proposition, qui prend le risque d’étirer le temps du rituel et a donc semblé ennuyer certains spectateurs pendant un temps, finit en une telle apothéose que le public a salué la performance par un tonnerre d’applaudissements.

C’est une exploration très fine que nous offre là Alice Laloy, secondée dans sa quête par un très beau plateau artistique, où les adultes sont au service des enfants comme les marionnettistes sont en réalité au service de leurs marionnettes.

Le point de bascule est probablement différent pour chaque spectateur, mais il y a un trouble certain à voir ainsi des enfants se déshumaniser graduellement. Encore plus, si c’est le fait du travail d’adultes. Et peut-être même, en dernière analyse, si lesdits adultes sont comme revêtus d’uniformes, avec des gestes d’une précision et d’une synchronicité quasi militaires. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour être tenté de discerner là quelques métaphores…

L’évidente complicité qui règne entre les interprètes, particulièrement au sein de chaque binôme enfant-adulte, est cependant conductive de beaucoup d’humanité et de délicatesse.

On terminera sur l’aspect plastique de la proposition, sur ces uniformes et sur ces déguisements de Pinocchio(s), pour dire qu’ils charment l’œil. Dans les couleurs, dans l’attention portée aux détails, dans l’équilibre trouvé à mi-distance entre l’étrange et le familier, on est captivé pendant de longues minutes juste par les costumes, au-delà de ce qui se joue dans la transformation qui est donnée à voir.

Une œuvre très réussie, stimulante, et, paradoxalement, étant donné son thème, pleine de joie et de vie, même si on met un certain temps à s’en rendre compte.

Pinocchio (live) est un de ces spectacles qui peut rester longtemps avec le spectateur, dont les échos résonnent durablement dans le for intérieur. Une gourmandise qui se mérite, eu égard au rythme délibérément lent du rituel, mais une gourmandise qui ne se refuse pas !

Dans le cadre de la BIAM, Pinocchio (live) peut aussi se voir à la MAC – Maison des Arts de Créteil, le 25 mai 2019 à 18 h… et on ne saurait trop vous recommander d’y aller !

Conception et mise en scène : Alice Laloy
Composition sonore : Eric Recordier
Chorégraphie : Cécile Laloy
Scénographie : Jane Joyet
Costume : Oria Steenkiste
Accessoire : Benjamin Hautin
Assistante-stagiaires aux accessoires Maya-Lune THIEBLEMONT

Assistante-stagiaire à la mise en scène Sandra SEVRIN

Avec les enfants danseurs de la classe CHAD du Conservatoire à Rayonnement Régional de la Ville de Paris: Naëlle BENALLA, Émile BOULAN, Suzanne CELERIER, Louison GROH, Tierno LAMYNE MEADOWS, Inès LEBLANC, Gabrielle MACHE, Maya NAMMOUR, Salomé PETIT, Armand POISOT, Théo PROVENZANO DE SOUZA, Nina SANTAMARIA RAYMONDIS, Olga TACHOU
Avec l’aimable coopération de leur professeure de danse Sabine RICOU
Et les performeurs et performeuses : Léa ARSON, Justine BARON, Romane BRICARD, Benoît CANNE, Ophélie CHARPENTIER, Anaïs GRANGEAN, Claire HURPEAU, Dorine JARRIGE-MAILLE, Jade MALMAZET, Camille MARCON, Cécile MOURIER, Louis PONSOLLE, Sandra SEVRIN
Accompagnés par Norah DURIEUX LE BARS et Eliott SAUVION LALOY

Visuel : © Alice Laloy

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