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Duo hautement lyrique à Bordeaux

Duo hautement lyrique à Bordeaux

09 March 2020 | PAR Gilles Charlassier

L’Opéra national de Bordeaux a présenté jusqu’au jeudi 12 mars 2020 une nouvelle production de Roméo et Juliette de Gounod, dans une mise en espace de Justin Way, et avec une des meilleures distributions du moment.

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Si l’on excepte quelques rares scènes d’ensemble et interactions avec les autres personnages de l’histoire, le Roméo et Juliette de Gounod est essentiellement une concentration intimiste autour des deux amants. A cette aune, une production scénique complète avec décors et costumes risque de ne guère apporter plus qu’une illustration. La raison économique et l’artistique peuvent finalement s’accorder, et l’Opéra national de Bordeaux a opté pour une mise en espace confiée à Justin Way. Un balcon et une ombre de terrasse suffisent à camper les lieux presque abstraits du drame de Shakespeare – adapté au format du livret d’opéra par Barbier et Carré. Les modulations des lumières réglées par François Menou façonnent les évolutions des atmosphères au gré de l’intrigue, et servent d’écrin au lyrisme des solistes.

Avec Nadine Sierra en Juliette et Pene Pati en Roméo, le duo réuni par la maison bordelaise est sans doute l’un des meilleurs du moment pour l’opus de Gounod – l’Opéra de San Francisco avait déjà réuni les deux interprètes l’automne dernier. L’épure de la présente production favorise le chant et la musicalité, sans le parasitage d’un jeu d’acteurs qui serait sans doute passablement stéréotypé s’il n’était pas relégué au second plan. La soprano américaine déploie les saveurs fruitées d’un timbre à la fois charnu et coloré, sans sacrifier la volubilité de la ligne qui s’épanouit dans des vocalises aériennes et pleines de sentiment. Cette Juliette palpite d’une évidente séduction à laquelle ne peut résister le Roméo attachant de Pene Pati. Doué d’une légèreté solaire qui rappelle un peu Pavarotti, le ténor néo-zélandais cisèle les affects amoureux avec une instinctive intelligence des effets, portée par une souplesse délicate et chatoyante. L’intensité des émotions ne sacrifie jamais l’élégance de la voix.

Le reste du plateau se révèle également de belle qualité. Nicolas Courjal impose un Frère Laurent solide, qui assoie sur des graves nourris la bienveillance vigilante du personnage. Philippe-Nicolas Martin fait vibrer la vaillance de Mercutio, avec un bel équilibre sur l’ensemble de la tessiture. Par un mezzo clair idéal pour le page, qui contraste avec l’homogénéité mature de la Gertrude de Marie-Thérèse Keller, Adèle Charvet distille la jeunesse de Stéphano, quand Thomas Bettinger affirme l’orgueilleuse impulsivité de Tybalt. Depuis un pupitre sur le côté de la scène, Jean-Christophe Lanièce sauve Capulet de l’aphonie de Christian Helmer, réduit au mime.

Les interventions secondaires ne sont pas négligées. Romain Dayez résume la fierté du comte Pâris. Geoffroy Buffière ne faillit point en duc de Vérone, ni Hugo Santos pour la réplique de Frère Jean. Celle de Benvolio revient, sans démérite à François Pardailhé, et Louis de Lavignère ne manque pas de s’appuyer sur sa prestance en Grégorio. Préparés par Salvatore Caputo, les choeurs remplissent leur office. Dans la fosse, Paul Daniel fait respirer avec tact et finesse le lyrisme d’une partition au service de la ligne de chant, sans négliger les couleurs de ses pupitres de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. La musique d’abord, et avant le confinement des salles de spectacle dans le silence pour cause de pandémie.

Gilles Charlassier

Roméo et Juliette, Gounod, mise en espace : Justin Way, Opéra national de Bordeaux, mars 2020

©Eric Bouloumié

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Gilles Charlassier

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