Carmen condensé et décanté sous les étoiles de Saint-Céré
Le Festival de Saint-Céré présente, dans la cour du Château de Castelnau, La Tragédie de Carmen, l’adaptation de l’opéra de Bizet que Marius Constant, Peter Brook et Jean-Claude Carrière avaient réalisée pour les Bouffes du Nord il y a près de quarante ans. Sous les étoiles du Lot, la reprise, mise en scène par Florent Siaud, donne à cette condensation musicale et dramaturgique une magie inimitable.
Événement de la saison 2022-2023, la tournée de la reprise de La Tragédie de Carmen, adaptation de l’opéra de Bizet par Marius Constant, Peter Brook et Jean-Claude Carrière, fait une escale estivale dans l’un des grands rendez-vous de l’été musical, le Festival de Saint-Céré. Lieu historique des soirées lyriques en plein air, la cour du Château de Castelnau constitue un écrin de choix pour cette relecture que met en valeur la mise en scène épurée de Florent Siaud. Dans une scénographie décantée, dessinée par Romain Fabre, et tamisée par les lumières de Cédric Delorme-Bouchard, la destinée de la bohémienne rebelle est placée sous le sceau de la Mort, qui apparaît comme prostrée dès la séquence augurale. Le module circulaire côté cour dans lequel entrent et disparaissent les personnages ramène la quintessence du jeu théâtral avec les effets de coulisses à une abstraction poétique et évocatrice sur laquelle se projette, par le dispositif vidéo réglé par Thomas Israël, le regard de l’héroïne ou d’autres voiles lunaires en parfaite synchronie suggestive avec le cadre du spectacle, façonnant ainsi une immersion dans ce resserrement autour du quatuor formé par Carmen, Don José, Micaëla et Escamillo, les figures secondaires étant ramenées à quelques répliques ou figurations.
Dans le rôle-titre, Julie Rochard-Gendre se distingue par une présence et une tessiture homogènes, avec lesquelles elle souligne la liberté farouche de Carmen. Au-delà de la maîtrise évidence de l’incarnation, elle fait vibrer la fierté et la vulnérabilité d’une femme qui ne veut se soumettre qu’à son destin. Les apparitions de son mari, ou la procession funèbre d’Escamillo, emprunts divers à Mérimée que le livret de l’opéra ne mentionnent pas, ajoutent au poids de la Mort et de son ombre qui rôdent autour de l’héroïne. Dans cette adaptation qui renouvelle les équilibres dramaturgiques, la trajectoire de Micaëla est davantage développée, et révèle des facettes à peine esquissées chez Bizet. Marianne Croux assume la piété de la jeune fille et les tourments secrets qui l’agitent avec un indéniable investissement, qui en fait le second pivot de la pièce. A rebours de certains Escamillo au timbre sombre, Thomas Dolié privilégie une robustesse qui n’interdit pas la clarté du chant. En Don José, Sébastien Droy contraste avec certains archétypes plus juvéniles et fait ressortir, parfois jusque dans l’intonation, les blessures du brigadier, auquel il confère une appréciable consistance. Sous la direction de James Salomon Kahane, l’Ensemble Miroirs Etendus révèle les ressources inattendues de la réorchestration chambriste de Marius Constant dont l’agilité expressive répond à celle de la recomposition de l’histoire. Les inserts enregistrés de la feria de Séville souffrent un peu de la brutalité de la sonorisation, compensée par un tissage habile dans la partition – on retient finalement la pertinence de la juxtaposition entre l’intime et la toile de fond. Reste la vérité de cette Tragédie de Carmen qui, quarante ans après sa création, s’inscrit comme l’un des visages alternatifs du célèbre opéra de Bizet.
Gilles Charlassier
La Tragédie de Carmen, Festival de Saint-Céré, les 9, 10 et 12 août 2023
© Estive de Foix
