Opéra
À Salzbourg, le capharnaüm de Séville

À Salzbourg, le capharnaüm de Séville

11 August 2022 | PAR Paul Fourier

Bien que servi par une distribution d’élite, ce Barbier de Séville agace très vite en raison de l’accumulation d’effets comiques voulus par le metteur en scène, Rolando Villazon.

Si Le barbier de Séville de Rossini est un chef d’œuvre et s’il est probablement l’opéra du compositeur le plus donné au monde, c’est, avant tout, parce qu’il bénéficie d’un savant équilibre entre la musique et le livret, ce livret dont, bien évidemment, il faut créditer Beaumarchais, mais dont les qualités furent conservées par Rossini et son librettiste.
Il possède, en particulier, un grand potentiel comique. Ce potentiel naturel est, notamment, très justement exploité dans l’actuelle production de Damiano Michieletto à l’Opéra de Paris ; mais, cette force intrinsèque ne semble pas avoir convaincu Rolando Villazon qui, lui, a décidé de charger la mule par de multiples ajouts et ce… jusqu’à l’écœurement.

Cléopâtre, Jeanne d’Arc, des Romains, Frankenstein, Nosferatu, etc., etc.

Il n’est nullement critiquable de vouloir déplacer l’action d’un opéra, en l’occurrence ici, dans le monde du cinéma muet (même si l’on n’en voit pas clairement la finalité), d’autant que, durant l’ouverture, la mise en bouche, est très drôle lorsque l’excellent Arturo Brachetti – émergeant avec grand style de son monde de transformisme – regarde Cecilia Bartoli qui semble beaucoup s’amuser en endossant les costumes de Cléopâtre, de Jeanne d’Arc ou de Zorro sur l’écran. L’on comprend alors qu’une star du muet est enfermée par son Pygmalion, bien qu’elle soit plus attirée par le jeune premier, Almaviva.
Telle quelle, l’idée aurait pu être traitée avec la délicatesse d’un Woody Allen « façon Rose pourpre du Caire ». Mais Villazon préférant s’inspirer de Groucho Marx, est incapable de doser, et joue la surcharge, en nous servant un gag à la minute. L’effet est rapidement fatigant, et, comme un plat trop sucré, vite écœurant. Non pas que certaines idées manquent d’effets comiques (telle cette Rosina enfermée dans une gigantesque cage à oiseaux), mais elles sont souvent gratuites et s’enchaînent péniblement.
Des metteurs en scène, tel Barrie Kosky, pour exemple, sont doués pour ce genre d’exercices. Ici, la légèreté voulue prend rapidement des semelles de plomb, avec une redondance de gags, une surpopulation scénique de figurants affublés de toutes sortes de costumes, une transformation des protagonistes en bouffons permanents.
Au milieu de Romains et soldats de tout poil, l’on retrouve Frankenstein ou Don Basilio en Nosferatu… et ce, sur la musique originale du Parrain.

Par chance, il y a le chant…. lorsqu’il arrive à se faire un passage dans ce fatras

Tout comme pour le livret, la partition de Rossini n’est probablement pas suffisamment brillante pour Villazon, et Capuano, le chef d’orchestre l’ « agrémente » de rajouts musicaux, notamment de clins d’œil à la bande originale de films. L’on est donc bien heureux lorsque le compositeur de Pesaro arrive finalement à se frayer un chemin dans ce melting-pot indigeste.

La distribution réunie autour de La Bartoli, figure du festival et Directrice artistique de son édition de Pentecôte, est excellente.

Avant tout, c’est le rôle-titre qui éblouit en la personne de Nicola Alaimo dont le timbre, d’une beauté confondante et la maîtrise de la grammaire Rossinienne se révèlent là parfaitement idéales. L’on est immédiatement saisi, non seulement par la richesse des harmoniques, mais également par la projection et l’abattage du personnage. Ce Figaro « trois étoiles » rappelle que Beaumarchais comme Rossini, ont eu bien des raisons d’en faire le centre de leurs joyeuses comédies.

Plusieurs décennies après sa première Rosina, Cecilia Bartoli prouve qu’elle reste une rossinienne hors pair (probablement la plus grande sur une telle période), même si cette nouvelle démonstration n’apporte rien de plus à sa gloire et que, si la virtuosité est encore absolument admirable, la voix – ici indéniablement dans sa dimension mezzo-soprano – a perdu de sa rondeur. Ce qui est toujours fabuleux chez l’artiste, c’est cette énergie inimitable, cette bonne humeur communicative qui, malgré les excès, emporte tout sur son passage.

Edgardo Rocha sans atteindre l’excellence de ses deux compères, – certes un brin émoussée pour Bartoli -, il s’affirme comme un Almaviva en possession de toutes les notes, qui ne faillit jamais. Peut-être, à ce stade de sa carrière, lui manque-t-il juste ce supplément de folie qui fait qu’un ténor rossinien est capable de vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Le mystère d’un Cessa di piu resistere chanté à deux voix

Bien sûr, on le sait, la mélodie de cet air – ici normalement dévolu au ténor – est commune au Barbier et à La Cenerentola (et, même, à d’autres opéras de Rossini). Certes, que la cabalette de l’air soit finalement interprétée en alternance par Rocha et Bartoli produit, on l’imagine, un effet de pure exaltation sur le public qui demandera (et obtiendra rapidement) un bis.
Mais quelle est l’explication de cette petite « hérésie » ? Extravagance supplémentaire pour ajouter à la confusion ? Envie de « faire le show » ? Envie de valoriser plus que nécessaire la Bartoli ? Incapacité pour le ténor d’assurer seul cet air extrême figurant en fin d’opéra ? La question n’est certes pas bien importante, mais, à partir du moment où l’on a l’audace de s’attaquer à l‘écriture du maître de Pesaro, elle mérite d’être posée.

Comme l’on pouvait s’y attendre, Alessandro Corbelli a du métier et tous les atouts pour camper un Bartolo idéal, fort d’un instrument et d’une vis comica totalement en phase avec la maturité du personnage.
Dans le rôle de Basilio, Ildebrando D’Arcangelo – condamné à assumer un personnage de vampire récurrent – se montre efficace, mais l’habit semble parfois l’empeser et son personnage de Basilio perd alors de sa redoutable efficacité naturelle.
Rebeca Olvera, dans ce rôle singulier de Berta qui brille le temps d’un air virtuose, est absolument brillante.
Enfin, si l’on se place du seul côté burlesque voulu par Villazon, celui qui semble avoir le mieux trouvé sa place dans le dispositif proposé, c’est le génial Arturo Brachetti, qui, avec une sobriété à toute épreuve, traverse la pièce, en clown blanc fort sympathique.

De la direction de Gianluca Capuano, à la tête des Musiciens du Prince, l’on retiendra que si elle est efficace, les entorses permanentes à l’intégrité de l’œuvre finissent, toutefois, par la rendre souvent confuse. C’est regrettable, mais le chef d’orchestre a sa part de responsabilité pour s’être plié aux pantalonnades de Villazon et ne peut qu’en partager les critiques.

Finalement, à la sortie de la représentation, l’on a senti que la plupart des spectateurs se sont bien amusés. Pour ceux qui sont sensibles à un type d’humour à la fois répétitif et chargé, ce fut certainement un bon moment… Pour les autres… ce fut bien long… ce qui est le comble de l’infortune, pour un opéra pétillant comme Le barbier de Séville.

Visuel :© SF / Monika Rittershaus

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Paul Fourier

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