Opéra
Moïse et Pharaon donné à l’Opéra de Lyon après Aix-en-Provence

Moïse et Pharaon donné à l’Opéra de Lyon après Aix-en-Provence

29 January 2023 | PAR Hélène Biard

Depuis quelques années, le festival d’art lyrique d’Aix en Provence et l’Opéra National de Lyon coproduisent un opéra d’abord présenté à Aix puis à Lyon. En 2022 ce fut Moïse et Pharaon de Gioachino Rossini (1792-1868) dont la mise en scène a fait couler beaucoup d’encre à l’époque.

Pour l’occasion c’est une très belle distribution qui a été réunie pour donner vie aux personnages de cet opéra encore bien peu représenté en France. Moïse et Pharaon, composé pour l’Opéra de Paris, contient le ballet « imposé » par la maison (qui est généralement coupé de nos jours). Cela étant dit, la présente production a l’heur de le présenter ce qui permet au public lyonnais de voir une version intégrale du très bel opéra de Rossini.

Une mise en scène sans intérêt, agrémentée de décors, de costumes et de vidéos inutiles et hors sujet

Tobias Kratzer qui est en charge de la mise en scène a beaucoup d’idées dont beaucoup sont inabouties. Ainsi la confrontation des hébreux et des égyptiens du premier acte ou chacun est de son côté : Les hébreux, les plus nombreux, sont côté cour et se retrouvent confinés dans un espace réduit comme une peau de chagrin. Si l’on peut comprendre la volonté de montrer à quoi sont réduits les migrants actuels, cela semble disproportionné dans un opéra comme Moïse et Pharaon. Les mouvements de foule sont souvent désordonnés et certains accessoires, notamment les chaises, les fauteuils et les bateaux de migrants n’aident personne. Kratzer a eu cependant deux excellentes idées : la transe de Moïse pour permettre à la voix mystérieuse de se matérialiser au milieu de la représentation et l’invasion de la salle par le chœur pour l’action de grâces finale du chef d’œuvre de Rossini. Mais ce sont surtout les vidéos de Manuel Braun, qui apparaissent à partir du deuxième acte, qui nous semblent inutiles. Ni le profil Facebook de la princesse assyrienne Elegyne, ni le journal télévisé, pâle copie des JT de BFM TV, ne servent à la progression de l’histoire. Le summum est atteint au dernier acte lorsque sont diffusées des images de catastrophes naturelles pour marquer la « chute » de l’oppresseur égyptien et ce, juste après que les canots pneumatiques des migrants juifs aient pu passer avec succès. Quant aux décors et aux costumes de Rainer Sellmaier, il s’inscrivent dans l’esthétique liée aux migrants imposée par Kratzer ; le seul personnage échappant à ce maelström de contemporanéité mélangé à des faux semblants d’œuvre de charité étant Moïse dont le costume correspond parfaitement à ce que nous étions en droit d’attendre. La chorégraphie de Jeroen Verbruggen n’est pas extraordinaire mais elle a le mérite d’exister et de donner vie aux « adorateurs » de la déesse Isis, déesse qui est considérée par les égyptiens antiques comme la mère et la tante des autres Dieux et ayant, de fait, une place prépondérante dans le panthéon religieux du pays.

Le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Lyon au top

Si à Aix-en-Provence c’est Michele Mariotti qui dirigeait l’orchestre, à Lyon c’est Daniele Rustioni qui reprend sa place sur le podium. Le chef conduit la phalange avec une énergie peu commune ; tout est clair, net, précis, les nuances et les tempos sont parfaits, voire même inégalables. Excellent chef d’opéra, Daniele Rustioni se révèle très attentif à ce qui se passe sur le plateau et accompagne les solistes et le chœur avec une sûreté de métier incomparable. Quant au chœur de l’Opéra de Lyon, parfaitement préparé par son chef Benedict Kearns, il livre une performance exceptionnelle : la diction est parfaite et il n’y a musicalement rien à reprocher à ces artistes dont le niveau est remarquablement élevé.

Une distribution internationale au rendez-vous

On retrouve avec plaisir Michele Pertusi qui incarnait déjà Moïse à Aix en Provence. Après près de quarante ans de carrière la voix a changé mais la basse parmesane fait toujours montre d’une autorité et d’un charisme impressionnants. Avant même d’ouvrir la bouche, ce Moïse s’impose dès son entrée en scène ; la diction est impeccable, la tessiture est tout à fait adéquate et en rossinien aguerri, il rend justice avec un beau panache à cette œuvre qui mérite grandement de sortir de l’ombre.

À Lyon, c’est Alex Esposito qui remplace Adrian Sâmpetrean qui chantait Pharaon à Aix en Provence. Le baryton, natif de Bergame, se montre sous son meilleur jour dans un rôle ingrat. Il campe un Pharaon de très belle tenue ; le baryton rend avec talent l’indécision du souverain mis sous pression par Moïse lui même, qui tient au départ vers la Terre Promise, mais aussi par Aménophis, son fils, fou amoureux d’Anaï, la jeune sœur de Moïse, et Osiride, le grand prêtre d’Isis qui ne veulent surtout pas que les hébreux quittent l’Égypte.

C’est Ruzin Gatin qui interprète Aménophis ; le jeune ténor russe est doté d’une fort belle voix et d’aigus insolents. Si l’on peut regretter une prise de rôle un peu précoce dans sa carrière, Gatin donne de très belles choses à entendre et fait passer le jeune prince par une large palette de sentiments. Mert Süngü est un bel Eliézer mais la diction n’est pas toujours parfaite, notamment au premier acte. La belle voix de ténor, à l’ambitus impressionnant, de Süngü claque dans la salle sans efforts ; avec un peu de travail sur la diction, nous pourrions voir dans les années à venir un interprète majeur du répertoire français. Géraldine Chauvet est une Marie superbe qu’on aurait aimé voir un peu plus sur scène ; et Ekaterina Bakanova est une Anaï de toute beauté à la voix ample très bien maîtrisée pour une si jeune artiste ; espérons qu’elle saura gérer sa carrière avec prudence. Excellents également Alessandro Luciano (Aufide), Vasilisa Berzhanskaya (Sinaïde) et Edwin Crossley-Mercer (Osiride, voix mystérieuse). Si le rôle de la princesse Elégyne, incarné par Laurène Andrieu, est un rôle muet, on ne peut que regretter les gesticulations que lui impose Kratzer au moment ou les plaies annoncées par Moïse s’abattent sur l’Égypte dont le souverain refuse de libérer les hébreux.

Cette production de Moïse et Pharaon, qui s’arrête à Lyon jusqu’à début février est idéale sur un plan strictement vocal et musical. Elle aurait sans doute gagné à avoir une mise en scène plus soignée dans des décors adaptés et avec des accessoires et des costumes en rapport avec le livret et non avec les envies d’un Tobias Kratzer dont on peut regretter qu’il gâche son talent en montant une mise en scène si peu claire. Il faut néanmoins lui reconnaître que, la voix mystérieuse qui s’incarne par un Moïse en transe et la prière finale chantée au milieu du public sont deux idées brillantes.

Visuels : © Monika Ritterhaus et Blandine Soulage

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