Le “Dom Juan” de David Bobée : une mise en scène pas si révolutionnaire
Le Dom Juan de Bobée est un événement attendu, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Reprenant les mots de Molière, il nous livre une proposition où la pierre, qui donne à la pièce son sous-titre, est omniprésente et où Sganarelle a finalement raison de son maitre.
Une mise en scène révolutionnaire ?
Que dire de neuf sur cette pièce que tout un.e chacun.e connaît par cœur ? Qu’il s’agit d’un personnage, Dom Juan, qui aime trop les femmes ? ou d’un libertin au sens du XVIIe siècle, dont le scepticisme le conduit à mépriser toutes les conventions sociales, fidélité amoureuse comprise ?
Le choix de Bobée est de mettre en évidence ce qui, dans cet aristocrate hautain, nous répugne : son mépris des femmes, perçues comme de vulgaires objets que l’on jette, son mépris des pauvres, son mépris, enfin, des idiolectes populaires. La fameuse scène du Pauvre et son échange avec Pierrot sont, à ce titre, exemplaires.
Cette hauteur nobiliaire est connue et bien documentée : si Bobée, dans sa note d’intention (“En relisant Dom Juan, j’ai réalisé que chaque scène qui compose cette pièce représente quelque chose contre lequel je lutte depuis toujours. Dom Juan est tour à tour classiste, sexiste, glottophobe, dominant…”), semble la découvrir, il ne peut s’agir que d’une fausse naïveté. Ce n’est pas pour rien que le personnage de Molière, qui puise dans le texte moralisateur de Tirso de Molina, finit mal, et il faudra attendre le romantisme pour que Dom Juan soit paré de vertus nouvelles. Partant, quand le directeur du Théâtre du Nord prétend, par sa mise en scène, “déboulonner” la statue du Commandeur que serait Dom Juan lui-même, il se paie légèrement de mots.
Le Festin de pierre
Cette réserve faite, la proposition de Bobée fonctionne : le plateau surmonté de l’imposante statue d’Illissos place d’emblée le public face à un sexe masculin qui, pour être au repos, n’en est pas moins central dans la scénographie. Le dieu des cours d’eau devient alors celui de la domination masculine et sociale : Dom Juan y grimpe pour surplomber Sganarelle quand celui-ci le sermonne ou toiser Elvire et Charlotte quand elles lui demandent des comptes.
La présence des autres statues – Achille, une fusion de dictateurs et un conquistador espagnol – est moins nécessaire. Elles viennent orner le propos plus que véritablement faire sens et deviennent de ce fait redondantes. On l’a compris, ce spectacle remet en cause les multiples rapports de domination ; il n’est nul besoin d’en rajouter. Les projections en fond de scène, heureusement discrètes, ne sont pas plus nécessaires et font également figure de décor superflu.
Le triomphe de Sganarelle
Il n’empêche : grâce à une distribution rigoureuse et au léger travail de remaniement du texte, la richesse de la pièce de Molière nous séduit. Nous y retrouvons avec plaisir des allusions au Médecin malgré lui, au Médecin volant ou aux Fourberies du Scapin. Plus que Dom Juan, en effet, c’est le personnage de Sganarelle qui, dans cette mise en scène, tire son épingle du jeu : Shade Hardy Garvey Moungondo s’y révèle un valet certes désorienté, mais qui vole à son maître la vedette. A ses côtés, Radouan Leflahi, compagnon de route de David Bobée, semble surinvestir la virilité toxique de son personnage.
Côté Charlotte et Pierrot, Xiao Yi Liu et Jin Xuan Mao incarnent leurs personnages tantôt en français, tantôt en mandarin, pour permettre à Dom Juan de donner libre cours à sa glottophobie. Xiao Yi Liu, notamment, est très bonne en jeune femme à la fois éblouie et inquiète. Le choix de faire incarner par des femmes les principales remises en cause de la virilité conquérante de Dom Juan fonctionne également : Nine d’Urso est superbe en Dom Carlos et Catherine Dewitt fait un.e p.mère parfait.e.
Le Dom Juan de David Bobée nous offre donc un spectacle riche et agréable, où l’humour de Molière laisse à la réflexion la place qui lui revient. Il ne tient toutefois pas tout à fait ses promesses de nous montrer un Dom Juan subversif. C’est finalement le surtitrage final, hommage aux mobilisations contre la réforme des retraites, qui apparaît comme le plus révolutionnaire.
A la Maison des arts de Créteil du 19 au 21 avril à 20h.
En tournée :
25 au 28 avril 2023 – La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène Nationale (63)
4 et 5 mai 2023 – La Filature, Scène Nationale, Mulhouse (68)
7 et 8 juin 2023 – La Coursive, Scène Nationale de la Rochelle (17)
Générique
Avec : Nadège Cathelineau, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Xiao Yi Liu, Jin Xuan Mao, Grégori Miège, Shade Hardy Garvey Moungondo, Nine d’Urso, Orlande Zola
Scénographie : David Bobée et Léa Jézéquel
Lumière : Stéphane Babi Aubert
Vidéo : Wojtek Doroszuk
Musique : Jean-Noël Françoise
Costumes : Alexandra Charles
Décor : Les ateliers du Théâtre du Nord
Assistanat à la mise en scène : Sophie Colleu et Grégori Miège
Durée : 2h40
Crédits : ©Arnaud Bertereau