
Des corps et des mots, l’humain à nu selon Pascal Rambert
En clôture du festival Rambert à nu proposé aux Bouffes du nord, se donnaient deux anciennes pièces de l’auteur et metteur en scène le plus passionnant et très en vue du moment. Incisives, ces formes brèves et saisissantes, recréées pour l’occasion avec de nouveaux interprètes, dévoilent et exacerbent sans artifice le désir sous toutes ses formes : désir physique, érotique dans Libido Sciendi où les corps nus d’un couple s’attirent et s’étreignent ; désir de mort et de destruction dans le sombre monologue De mes propres mains interprété par Arthur Nauzyciel.
Libido Sciendi date de 2008. Kevin Jean et Nina Santes n’étaient pas de la création mais s’adonnent très intimement depuis un an déjà à l’accouplement charnel et silencieux imaginé par Pascal Rambert. Ils prennent place l’un face à l’autre sur le plateau. L’homme et la femme se déshabillent, s’attirent, se veulent, se touchent, se caressent, se lèchent. Ils se possèdent, s’abandonnent dans une lente, fulgurante, usante succession d’étreintes chorégraphiées ponctuées de leur seul souffle chaud et haletant. Entre exhibition prosaïque et mythe originel, la performance organique est forcément impudique mais jamais dérangeante. Au contraire, l’exploration sensible et sensuelle de chaque parcelle des corps sculpturaux, de chaque pore de leur peau qui se livre, s’expose, s’offre crûment à la contemplation esthétique est à la fois brute et douce. C’est tout simplement beau et puissant.
De mes propres mains, écrit en 1993 pour Eric Doye est recréé depuis à plusieurs reprises avec différents acteurs, hommes ou femme. Arthur Nauzyciel s’empare de cet étrange monologue et impose une interprétation à la fois ferme et fragile. Dans l’immobilisme de son corps comme dans sa bouche, les mots fusent, claquent, drus et secs. L’acteur habite les visions cauchemardesques d’une subjectivité hallucinée. Quelle sorte d’homme est ce locuteur insaisissable ? Il parle, divague. Plus il se libère, plus il suffoque. Il dit comme il aboie, se compare à un chien qu’on musèle, incarcère. Sa liberté se trouve dans l’absence, la destruction, le suicide, la mort. La dépossession de soi est le thème qui revient systématiquement dans son intarissable discours. Un revolver dans la main droite, toute tremblante, le poing gauche fermement serré. Il s’exprime d’une manière persistante, rapide et sans discontinuer, malgré quelques brefs moments d’accalmie. Dans cette forme tendue et condensée surgit toute la violence trouble et crispante de l’homme face à lui-même et à sa perte.
Ces deux propositions, ainsi que Clôture de l’amour et Memento Mori donnés également pendant le festival, manifestent la prédilection de Pascal Rambert pour le dénuement, pas seulement celui de ses interprètes mais celui d’un geste théâtral intégral. Avec une telle éloquence des corps et des mots, Pascal Rambert met en lumière ce qu’il y a de plus profondément gardé, enfoui, de délibérément invisible et insondable en l’homme. Ainsi, son théâtre se fait le vertigineux révélateur de l’humain qui interroge sa condition.
Visuel © Marc Domage