
Le krump passe à la scène
Avec « Mu », pièce pour sept danseurs, David Drouard expérimente l’hybridation de la danse hyper-urbaine avec les formes plus classiques de la danse contemporaine. Un travail de recherche et de pédagogie qui bénéficie de l’intérêt enthousiaste du public.
En investissant la scène de l’espace 1789 à Saint-Ouen, ce « Mu » débarque dans son contexte. On pourrait dire que le nord de Paris parle bien de ce « mode d’expression violent ou simplement agressif » qui définit le krump. Mais, il y a des nuances. Le contexte n’est pas ici le même que celui de la danse post-moderne parce que justement elle ne se joue pas dans la rue, mais dans un Cinéma d’art et d’essai (avec deux salles climatisées et espace de création pluridisciplinaire). C’est tout le paradoxe de ce spectacle qui met à l’épreuve des danseur.e.s qui vivent leur première expérience de la scène. Le projet est pédagogique, ouvert à tous. Mais, c’est un travail difficile. Faire entrer le « Mu » dans les formes hybridées du contemporain est une idée acrobatique.
Pas du tout dans le style krump qui rappelle plutôt la danse classique. Et la surprise est peut-être là : c’est en cherchant à coudre la danse de rue avec le répertoire post-moderne que l’on aboutit à une forme de ballet classique, mais un ballet sans étoile, sans groupe uni. C’est sans doute le message politique. Par conséquent, le mouvement collectif est noyé dans une mécanique du « un contre tous », le groupe reste imperméable au lâcher-prise. Ultra-sensible. Il donne l’impression que le moindre mouvement de l’un peut déstabiliser l’autre. Tout est très minutieux. À moins qu’il ne s’agisse de toute autre chose. Par exemple, d’une confrontation physique avec un monde invisible.
Le krump est aussi un exercice de maintien, de corps domestiqué, de gestes retenus. En ballet, les solistes semblent recouverts d’une combinaison plastique qui leur permet de rebondir les uns sur les autres. Il y a ces bras, ces doigts que l’on suit passionnément des yeux. Des mouvements circulaires, de longs pas. Dans le dernier tiers, la scène se fait plus tendre. On pense au Lac du cygne noyé dans une musique un peu concrète, souvent brillante. On voit alors apparaître le pur lyrisme du krump, sa variété sensible. Les danseurs sont des artistes pluridisciplinaires en devenir. « C’est cette richesse intime que je souhaite explorer et travailler », souligne David Drouard. La salle est pour partie debout et applaudit longuement.
Crédit photo : ©François Stemmer