
Anne Teresa De Keersmaeker, “Verklärte Nacht” : les amours fluides
Vingt ans. C’est l’âge qu’a le Festival de Marseille. Vingt ans ce sont aussi les années qui séparent les deux versions de La Nuit transfigurée, un spectacle qui surprend par un changement dans la grammaire de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker.
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C’est un pas de deux romantique où les hommes sont interchangeables. Elle (Samantha van Wissen) est légère. Robe rose, petit carré qui virevolte. Les deux “Lui” (Boštjan Anton?i? & Nordine Benchorf) sont eux en costume de travail, sombre. Elle danse pour lui et il ne la regarde pas. Il danse pour elle et elle ne le regarde pas. Puis de déhanchés en pas chassés, de portés en lâcher prise qui fondent au sol, les corps se réconcilient, jusqu’à la chambre, dans une affection quasi enfantine.
La pièce est courte, 40 minutes, et agit comme une seule phrase dont les mots seraient prononcés avec une intention différente, donnant l’illusion qu’ils sont différent. Cet aspect est amené par le rythme de la musique, sublime de Schönberg, composée sur un livret du poète allemand Richard Dehmel. Dans la pièce, “une femme avoue à l’homme dont elle vient de s’éprendre qu’elle porte l’enfant d’un autre, qu’elle n’aime pas. L’homme, après un moment d’hésitation accepte l’enfant comme le sien. Le couple est alors uni dans la nuit transfigurée.”
Cela, on ne le comprend pas si on ne le sait pas et c’est tant mieux. Car la sensation première est celle d’un excès de fluidité, d’une recherche basique de beauté. Ce qui surprend quand on sait que la chorégraphe divise avec des spectacles extrêmement rigides. Il y a quelques jours, elle adaptait avec génie As you like it de William Shakespeare. Elle prouvait alors que le corps n’avait pas besoin de surjouer pour raconter.
On apprendra qu’en vingt ans, la chorégraphie de Verklärte Nacht a été réduite à son plus simple appareil. De six danseurs on passe à trois, disons plutôt deux. Et les décors ont fait place à un beau plateau vide. Pourtant, cela n’empêche pas les superbes interprètes d’apporter trop d’émotion, trop de récit, trop d’explication. On voit ce couple se faire la gueule, se déchirer, s’aimer, se réconcilier. Mais si les portés ( Elle se jette à son cou, lui debout, mettant ses jambes de part et d’autre de son visage) sont d’une technicité mathématique, ce spectacle ne séduira pas ceux qui aiment chez celle qui vient de recevoir un Lion d’or sa fuite du figuratif.
Le festival de Marseille se prolonge jusqu’au 17 juillet. Avec notamment le 11, la nouvelle création de Wim Vandekeybus, Speak low if you speak love…
Visuels : © Anne Van Aerschot