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Ceux-qui-vont-contre-le-vent de Nathalie Béasse : Euphorie bordélique au Théâtre de la Bastille

Ceux-qui-vont-contre-le-vent de Nathalie Béasse : Euphorie bordélique au Théâtre de la Bastille

15 February 2022 | PAR Yohan Haddad

Au Théâtre de la Bastille, Nathalie Béasse propose un spectacle fragmenté d’1h30 réunissant sept comédiens autour d’un décor minimaliste qui se façonne progressivement au fil des scènes, ponctué de textes de Marguerite Duras, Gustave Flaubert ou encore Fiodor Dostoïevski.

Déséquilibre

Grande habituée du Théâtre de la Bastille, Nathalie Béasse y a présentée plusieurs créations étonnantes ces dernières années, comme un spectacle sur le monde contemporain (Wonderful World) ou bien une adaptation déstructurée du Richard III de William Shakespeare (Roses).

Avec Ceux-qui-vont-contre-le-vent, elle continue d’explorer le décalage qui émane de la personnalité des êtres, de ceux qui ont des émotions contradictoires, oscillant entre la tristesse inexplicable et le bonheur euphorique. Le début de la pièce illustre parfaitement cette idée en mettant la fiction au service du réel. Alors que les lumières de la salle sont toujours allumées, en attente du début du spectacle, une bande de lurons fait irruption dans la salle en se disputant et en se hurlant dessus. La surprise est alors totale, donnant l’illusion d’avoir affaire à l’équipe technique de la pièce qui fait irruption “sans le vouloir”. Après la découverte de la supercherie, les premières minutes de la pièce parviennent à donner une bonne impression en étirant cette dispute “réaliste”. Dès lors, les lumières peuvent s’éteindre et le spectacle peut réellement commencer, cette fois-ci sur la scène.

Ce qui s’annonçait comme un moment de pure fraîcheur va rapidement s’étioler au profit d’un spectacle nourri à la redite et au non-sens : pendant 90 minutes, ces sept comédiens vont passer par différents états d’esprits, se réunissant tour à tour autour d’un repas, se cachant sous la table, s’habillant, se déshabillant, autour de vers de grand auteurs clamés à des moments irréguliers comme pour justifier l’état d’esprit qui habite les “personnages” sur le moment.

Les comédiens proposent une performance sincère en puisant à fond dans leurs émotions, se contorsionnant dans tous les sens, criant, pleurant avec une intensité étonnante, ne basculant jamais dans le pathos ni dans l’incompréhensible. Ils n’hésitent pas à se mettre à nu devant nous (littéralement comme figurativement), comme pour affronter directement le spectateur en le mettant dans un entre-deux, entre embarras volontaire et promesse de confiance, comme s’il l’invitait lui-aussi à déballer ses émotions face à la scène.

Joyeux bordel

Au travers de ces déséquilibres humains, Nathalie Béasse décide d’illustrer son propos de la manière la plus simple qu’il soit : les ruptures de tons et les changements de genres. Une fois passé le semblant de péripéties dramatiques de la première partie de la pièce, une tournure complètement différente peut alors se mettre en place.

La troupe de comédiens se transforme alors en une bande d’enfants transgressant les règles classiques du jeu dramatique en proposant une série de numéros burlesque difficilement explicables. Cette idée passe notamment par un éclatement de ballons collectif sur la scène qui dure bien trop longtemps et qui finit par tourner au ridicule au fil des minutes. Ils sont tour à tour éclatés sous les chaussures ou avec les mains, mais également sous les tee-shits et sur les fesses. La pièce devient alors vulgaire et incompréhensible, créant un sentiment de gêne probablement volontaire mais tout de même indubitable, où seuls les comédiens semblent s’amuser face à un public qui ne dit pas un mot.

Un jetée de seau d’eau conclut alors la pièce, et vient en transfigurer son essence même : l’absurdité des situations en guise d’échappatoire, salissant la scène pour nettoyer les âmes, dans un élan d’apparence joyeux et singulier mais s’égarant dans l’excès d’une soi-disante contemporanéité.

Ceux-qui-vont-contre-le-vent – Mise en scène de Nathalie Béasse

Avec Mounira Barbouch, Estelle Delcambre, Karim Fatihi, Clément Goupille, Stéphane Imbert, Noémie Rimbert, Camille Trophème

Au Théâtre de la Bastille jusqu’au 18 février

Visuel : © C. Raynaud de Lage

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Yohan Haddad

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