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Avec une aventure rocambolesque et tragique digne d’un Calvino, Rachid Bouali et Manu Domergue présentent… Braslavie Bye Bye !

Avec une aventure rocambolesque et tragique digne d’un Calvino, Rachid Bouali et Manu Domergue présentent… Braslavie Bye Bye !

14 February 2020 | PAR Zoé David Rigot

Hier, accompagné de Manu Domergue, Rachid Bouali nous emmenait en Braslavie. La Braslavie ? C’est le pays imaginaire le plus pauvre d’Europe, d’où Sisyphe, tel le baron perché, rêve avec un entrain innocent de l’Italie…

Rachid Bouali, conteur et comédien, fondateur de la compagnie la Langue Pendue et co-fondateur à Hem de la compagnie L’aventure, transmet et promeut la culture par le langage. Le conte, discipline ancestrale et bien vivante, permet de raconter et de faire circuler des histoires de bouches à oreilles, jusqu’à l’infini et au delà. Rachid Bouali s’inspire de la mythologie, de la littérature, des récits de vie qu’il entend ici et là et qui l’inspirent par leur matière unique et malléable. Après une trilogie épique sur les petites gens finissant sur la vie des mères avec Le jour où ma mère à rencontré John Wayne (2012), Rachid Bouali est parti dans la jungle de Calais pour glaner les histoires des grands voyageurs égarés, réfugiés aux berges de la Manche. Il crée à partir de là un spectacle constitué de témoignages dont il recompose les textes, pour donner toute leur présence aux mots. Sur scène, les phrases qui déferlent comme les gouttes salées de l’océan sur une peau fatiguée seront les textes de Sans laisser de traces, un spectacle dur et réaliste, qui a marqué son public depuis 2016. La poésie peut prendre toutes les formes…

… car en effet, après une résidence d’une bonne semaine au Vivat à Armentières, Rachid Bouali présente un nouveau spectacle dont le sujet est tout aussi dur, mais cette fois en prenant le parti de l’humour et de l’imaginaire. La créativité ne peut-elle pas tous nous sauver, dira-t-on ?
En Braslavie, la vie est dure, tout le monde traîne ce qui lui reste de chaussures, on bricole sous le joug du tyran qui vient d’instaurer la “dictature participative” : si tu n’es pas d’accord, je reconnais ton désaccord, mais … tu seras tué ! Enfin bon, la vie est tellement dure que ce sont les canards qui jettent du pain aux citoyens… dans la ville de Targa grandit toutefois un petit garçon joueur et gonflé d’optimiste : Sisyphe. À l’école, alors qu’il est mis au coin par l’institutrice, il remarque, accrochée sur le mur effrité, une carte postale dont les couleurs ternies – mais néanmoins attirantes pour le petit garçon – indiquent “S O U V E N I R S D’ I T A L I E” ! Il se prend alors à rêver, tandis que la voix du conteur nous emmène dans des paysages doux et lumineux, accompagnée par le chant mystérieux et féerique du musicien, et des lumières créant une bulle enveloppante et onirique dans laquelle nous nous laissons emporter…. “Sisyphe ! Reviens à ta place !” ordonne soudain l’institutrice. “Mais madaaaaaaaaame, est-ce que ça existe vraiment, l’Italie ?”
En voilà des questions !

Le public retient son souffle, expire, et se fait entraîner dans le conte qui ne le lâchera plus. Sisyphe inventera moultes systèmes – des plus invraisemblables, jubilatoires et judicieux – afin de rejoindre son pays rêvé, aux côtés des autres villageois forts et tenaces, dont chaque destin se trouvera à un moment ou un autre face au mensonge et à la tragédie. De sa prestance que chaque geste enveloppe et dont aucun regard ne s’échappe, Rachid Bouali invite l’absurde à rejoindre la table ronde du récit. L’absurde, qui a le pouvoir précieux de poser les bonnes questions, de relever l’évidence pimentée de la vie et de la mort, d’en rire et d’en pleurer.
Issue d’une formation jazz, Manu Domergue accompagne le conteur et son histoire. Il prête sa voix à Sisyphe, donnant une texture aux caractères bien trempés des personnages et à leurs pensées qu’on ne peut pas percevoir, en offrant une vibration aux magnifiques paysages de ce pays imaginaire. Le méllophone ponctue les phrases sans fin, il rythme les pas égarés, mime les chutes inattendues … comme un bruiteur, le musicien ubiquiste investi et exploite les capacités de sa bouche, les formes inconnues de ses instruments, il joue avec les bruits tel un jongleur sonore. Ça gargouille de créativité, là, au coin du joli petit poêle allumé, à côté du coq de Targa qui picore des graines trop sèches.

Avec un amour sensible, un jeu plein de malices et même de la manipulation d’objets, dans la présence discrète de la vidéo, nos deux sur scène nous emmène avec sûreté dans un univers qui saisit les plus petits comme les plus grands. Avec ce duo intelligent, on redécouvre l’importance de l’imaginaire dans ce monde qui est le notre aujourd’hui. Rachid  Bouali parvient en effet à aborder les sujets les plus difficiles comme celui de l’utilisation de la pauvreté de l’autre, de l’Europe, et de l’injustice, avec une grande délicatesse – permettant ainsi à tous et toutes d’en comprendre les magouilles, mais de n’en tirer qu’un sac empli de possibilités – car les braslaves embrassent la vie !

 

Spectacle à suivre de près, donc !

 

Visuels : Braslavie Bye Bye ! © Mattis Bouali

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Zoé David Rigot

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