[Interview] Rone : « trouver un équilibre entre l’expérimentation de textures nouvelles et une vraie efficacité »
De passage dans sa capitale parisienne natale, dont il a délaissé les frontières il y a deux ans pour rejoindre la métropole berlinoise, nous avons rencontré le dj electronica Erwan Castex, plus connu sous le pseudonyme de Rone, attablé à la terrasse d’un café du IIIe arrondissement aux côtés d’un coca glacé et d’une ribambelle de clopes roulées. Placardé sur l’ordinateur d’un artiste à l’authenticité et la sincérité rares, l’autocollant de son dernier album Tohu Bohu, dont une réédition est justement sur le point de voir le jour…
Si j’ai un peu de chance, vous allez profiter de cette journée de promo pour m’annoncer en exclusivité l’arrivée prochaine d’un troisième album studio…
En fait, je ne sais pas vraiment pourquoi ils ont organisé une journée promo… ! Quoique, quand même, on sort le single de « Let’s Go » la semaine prochaine, issu de Tohu Bohu avec une nouvelle version que l’on a clipée, et quelques remixes (de Clark, de Principles of Geometry, de Superpoze…) Infiné, mon label, m’a aussi proposé de rééditer Tohu Bohu avec un double cd avec cinq nouveaux morceaux et un interlude, que l’on a appelé Tohu Bonus. Au début, j’étais moyen chaud, parce que vu que je fais de la musique tout le temps, les morceaux vieillissent très rapidement dans ma tête. C’était un peu difficile pour moi l’idée d’accepter de ressortir le disque. Avec les cinq nouveaux morceaux, ça me convient : j’ai presque l’impression de sortir un nouvel album !
Bon et effectivement, je suis déjà en train de bosser sur un troisième album pour début 2014, qui sortirait après un maxi prévu avec seulement deux morceaux que j’aime beaucoup et que je n’ai pas forcément envie de lier à un album complet.
Votre titre « Belleville », qui a contribué à vous faire connaître, rappelle la démarche de St-Germain avec son morceau « Goutte d’Or » et ses productions jouant sur le glamour parisien, ou même le « Abbesses » des Birdy Nam Nam. Qu’avez-vous écouté dans votre jeunesse avant de devenir Rone ?
C’est amusant. St-Germain j’ai bien sûr écouté mais je n’ai jamais vraiment pensé à cette influence-là…À cette époque, quand j’ai fait ce morceau, c’était plus un mélange d’Aphex Twin avec des trucs qui n’ont rien à voir avec la musique électronique, comme Pascal Comelade (beaucoup de petits sons de cloches, des petits sons très doux).
On vous a beaucoup aussi associé à Yann Tiersen à cette époque-là. Ça doit être cette histoire de cloches. C’est une association que j’ai personnellement toujours trouvée surprenante…
Ça m’a toujours surpris moi aussi ! Je prends ça plus pour un compliment parce que j’aime bien le bonhomme qui fait des trucs bien. Bon, c’est peut-être les sons de cloches oui.
Et Agoria, vous l’écoutiez déjà avant qu’il ne vous intègre pour la première fois sur l’une de ses compilations ?
Pour être complètement honnête, je le connaissais depuis un bout de temps, et notamment le morceau qui s’appelle « la Onzième Marche », un truc qui est sorti il y a une dizaine d’années. Mais j’avais un peu perdu cet artiste de mon champ de vision…J’ai dû me remettre à la page quand j’ai vu qu’il était sur le même label !
Entre votre premier véritable album Spanish Breakfast et le second Tohu Bohu, il y a votre passage de Paris à Berlin…
Après le premier album, j’étais un peu bloqué à Paris. Ce n’était pas une question de panne d’inspiration, j’avais des idées en tête, mais je me suis vite rendu compte qu’il fallait que je trouve une solution, et qu’il me fallait bouger pour cela. J’ai pensé à plein d’autres villes, comme Bruxelles et Londres, mais qui restaient trop proches de Paris. Au final, Berlin m’a aidé à accoucher de Tohu Bohu. Le fait que je débarque dans une ville où je ne connaissais personne et où je ne parlais pas la langue m’a aidé à me concentrer sur ma musique. Et puis, Berlin ne ressemble vraiment à aucune autre ville : tu as à la fois le côté campagne, relaxe, les grands parcs tout ça, allié avec le côté culturel hyper riche, plein de clubs ouverts tout le temps…Plus que la scène musicale allemande, je dirais que c’est plus la ville elle-même qui m’a inspiré.
Et du coup, vous arrivez à avoir une préférence entre Belleville et Mite ?
C’est assez agréable : j’ai l’impression d’être chez moi dans les deux villes !
Est-ce si différent de se produire devant un public parisien et devant un public berlinois ?
Il y a de petites subtilités oui. Les Allemands sont globalement moins expressifs, plus solennels, ce qui peut déstabiliser au départ. On voit mal les Allemands gueuler pendant un set…c’est une attitude très française, très latine ! Par contre, c’est le genre de public qui, à la fin de ton set, va applaudir pendant un quart d’heure…
On vous présente souvent comme un dj electronica, et ce même si votre musique contient indéniablement un côté house plus accessible. De votre côté, comment auriez-vous tendance à qualifier votre son ?
C’est assez juste. J’ai été très touché par beaucoup de musiques electronica ou IDM, des trucs très pointus, un peu obscurs, pas toujours accessibles, mais pour moi, j’essaye de plus en plus de trouver un équilibre entre l’expérimentation de textures nouvelles et une vraie efficacité, quelque chose de moins intellectuel. Quand je fais de la musique, je tiens à avoir une sensation, à avoir la chair de poule…
Vous vous verriez poser votre voix sur certains morceaux, et évoluer un peu de la même manière que Sascha Ring d’Apparat ?
Pas à ce point non ! Après, je suis ouvert à toutes expérimentations, et c’est vrai que j’ai envie d’utiliser ma voix, ce que je fais déjà un peu sur certains petits bouts de morceaux. Mais je ne me vois pas sur une scène avec un micro et un groupe derrière à la guitare et à la batterie…Je pense que je n’irai pas jusque-là !
Votre musique est-elle entièrement composée de samples et d’arrangements sonores ou avez-vous un talent de musicien qui vous permette de composer directement certains de vos sons ?
J’utilise de plus en plus d’instruments, et notamment sur les morceaux inédits de Tohu Bonus. Un mélange d’électronique et d’acoustique : c’est une démarche qui me plaît beaucoup. Après je me débrouille, je bricole, mais je ne suis pas un grand musicien. Du coup, je fais souvent appel à des gens, avec par exemple le batteur de Battles qui pose sa batterie sur « Pool ».
Vous enchaînez depuis quelques mois les collaborations hyper prestigieuses, qui vous ont notamment permis de bosser sur le dernier disque de The National…
C’est tellement fou que je te raconte toute l’histoire depuis le début ! J’avais une petite date à New York, dans un petit club à Brooklyn, où jouait mon vieux pote violoncelliste Gaspard Claus, avec qui j’ai déjà fait quelques morceaux. C’est un mec qui connaît beaucoup de monde, qui baroude dans le monde entier avec son violoncelle, et là il m’invite à ce concert, une sorte de buff avec cent personnes dans le public et vingt-cinq personnes sur la scène, parmi lesquels Sufjan Stevens et The National. Toute la crème de l’indie new-yorkaise quoi. Après avoir joué avec ces mecs-là, on s’est dit, une bière à la main, qu’on ferait bien un truc ensemble. Sauf que ce n’était pas une promesse de bourrés, puisque six mois après, de passage à Berlin, ils m’ont recontacté pour que je les rejoigne dans une grande chambre d’hôtel avec guitares, bières, le cliché du groupe de rock qui enregistre…Ils me disent alors qu’ils ont écouté Tohu Bohu, et qu’ils aimeraient que je mette un peu ma patte là-dedans. J’ai travaillé (très subtilement) sur quelques morceaux. Une superbe expérience.
Vous êtes passé par une fac de cinéma avant de vous imposer dans l’électro, un art encore omniprésent dans votre univers. Vous avez également collaboré avec l’écrivain Alain Damasio (ndlr : sur le titre « Bora Vocal »), ou encore avec le photographe Stéphane Couturier…vous vous verriez décliner votre univers via un format autre que celui de la musique électronique ?
C’est marrant que tu dises ça, parce que pendant longtemps, je n’arrivais pas à me présenter comme un véritable musicien. J’avais le complexe du mec qui n’a pas fait le conservatoire et qui ne sait pas lire la musique. J’avais l’impression d’être un imposteur, de ne pas être à ma place. Depuis que je suis tout petit, le seul truc que je sais c’est que je voulais être un artiste, créer quelque chose. J’avais alors beaucoup de mal à m’exprimer, à parler aux filles…Un enfant très timide, limite autiste. Je me suis rapidement rendu compte que ça me faisait beaucoup de bien de m’exprimer comme ça.
Je ne suis allé que jusqu’en troisième année de cinéma, à Censier. J’ai bien compris que je ne serai jamais réalisateur. Bon, je faisais du son à côté, et je crois que ça m’a rattrapé…Mais ça reste un vieux fantasme d’écrire un scénario et de me retrouver à diriger des gens sur un tournage. J’y pense, de temps en temps.
On vous a vu récemment participer à la Boiler Room, vous avez rempli le Trianon il y a quelques mois et êtes sur le point d’en faire de même avec l’Olympia en novembre, vous enchaînez les festivals en plein air cet été……qu’est-ce qui change dans l’interprétation de votre musique dans des endroits aussi différents ?
Ma vie, c’est 50% de studio et 50% de live. Tu es seul face à toi-même dans ton studio, avec tes moments de doutes et tes moments géniaux et transcendants. Et tout d’un coup tu te retrouves tout seul avec plein de gens qui sont devant toi et avec qui tu dois partager ta musique. J’ai la sensation que c’est dans ces moments-là que ma musique prend toute sa dimension.
Après c’est vrai que jouer au Trianon où dans un festival en plein air, c’est bien différent. Là par exemple à l’Olympia, je ne vais pas faire le même set que si je jouais au Social…Je suis un peu à la bourre d’ailleurs dans ma préparation…
Vous avez indiscutablement connu une ascension et un succès fulgurant ces dernières années, et êtes véritablement adoubé par l’ensemble de la presse spécialisée. Vous aimeriez, pour changer un peu, que quelqu’un dise franchement du mal de votre musique ?
Aha c’est déjà arrivé tout de même ! Autant je n’ai pas vu une critique négative du premier (forcément, comme c’est le premier, soit on en parle, soit on ignore), mais avec le deuxième je pense quand même qu’il y a des gens qui ont été déçus. Mais honnêtement, je suis assez sensible, et quand j’ai lu les premières critiques négatives sur ma musique de ma vie, ça a été terrible ! Je me suis dit que j’étais nul, et que j’avais envie d’arrêter la musique ! Depuis, je me suis un peu blindé par rapport à ça, et j’accepte beaucoup plus facilement la critique. Mais évidemment, je préfère largement plaire !
Rone sera ce soir en concert en plein air du côté du lac d’Enghien-les-Bains. Toutes les infos sont à retrouver sur l’événement Facebook de la soirée.
Visuel : © pochette de Tohu Bohu de Rone