Vivaldi fêté par Lea Desandre et Ensemble Jupiter au Louvre
L’Ensemble Jupiter, une nouvelle formation baroque créée par le luthiste Thomas Dunford, après son inauguration en France le 17 juin dernier dans le cadre du Festival de Saint-Denis, ouvre la saison des concerts à l’Auditorium du Louvre le 26 septembre dernier.
« Au sein de Jupiter, j’ai souhaité réunir un collectif de musiciens exceptionnels de la nouvelle génération. […] Chaque artiste invité à rejoindre ce projet est brillant dans la maîtrise de son instrument et certains sont déjà renommés en tant que solistes. […] La musique ancienne a connu une grande période de redécouverte, grâce à des pionniers tels que William Christie, Philippe Herreweghe, Jordi Savall, avec lesquels j’ai eu la chance de travailler. Il est aussi de notre responsabilité, génération ayant grandi avec cette musique, de continuer à la faire vivre tout en la rendant plus moderne, en montrant à quel point elle peut être accessible et combien elle peut toucher les cœurs. Toutes nos expériences passées ainsi que notre travail collectif au sein de Jupiter nous permettront d’acquérir cette grand liberté qui rendra extrêmement vivant et, je l’espère, touchantes. »
Tout est dit dans ces mots d’intention de Thomas Dunford pour la fondation de son ensemble. A l’Auditorium du Louvre plein à craquer, pour tenir la promesse de « rendre la musique ancienne extrêmement vivante », il a choisi Vivaldi, compositeur qui, il y a encore vingt ans à peine, n’était que celui des Quatre Saisons et quelques autres pièces, ses opéras étant soit ignorés soit considérés comme très secondaires. Aujourd’hui, personne ne montre son ricanement pour entendre ses airs virtuoses. Au contraire, on les attends avec impatience, surtout lorsque la soliste s’appelle Lea Desandre.
La mezzo soprano, révélation des Victoires de la Musique Classique en 2017, s’est rapidement hissée sur le podium de chanteuses baroques. Avec une incroyable agilité et une voix chaleureuse, elle chante tel qu’on veut entendre dans Vivaldi, dans une virtuosité éblouissante. C’est notamment le cas de « Gelosia, tu già rendi l’alma mia » (extrait de Ottone in Villa). Dans « Mentre dormi », extrait de L’Olympiade, les violons et l’alto jouent comme pour dilater les accords du thème initial, thème repris ensuite par le chant, donnant un beau dialogue entre les instrumentistes et la cantatrice. Lea Desandre n’est pas dépourvue de douceur et de quiétude dans les airs plus reposés. Ainsi, elle réalise de belles respirations dans « Gelido in ogni vena » (Il Farnace) ; elle est parée de grâce dans la joyeuse musique de « Veni, veni me sequere fida » (Judith triumphans) dont la partie instrumentale rappelle quelque peu le « Printemps » des Quatre Saisons. Selon les caractères de ces airs, elle explore son larynx de mille manières pour rendre les couleurs adéquates, mais toujours dans un timbre ouvert. Pour « Cum dederit » de Nisi Dominus, le tempo nous semblait relativement allant pour cette musique passionnément indolente.
En alternance des chants, l’ensemble offre deux grands moments concertants, l’un pour violoncelle et l’autre pour luth. La partie soliste du Concerto pour violoncelle en sol mineur RV 416, probablement l’un des premiers du genre, est interprétée par Bruno Philippe, sur un instrument avec pique. L’instrumentarium baroque est aujourd’hui tellement ancré dans les mœurs que cela provoque un sentiment étrange, d’autant qu’il fait vibrer les cordes à notre sens trop fréquemment, en particulier pour le deuxième mouvement ; même si le violoncelliste tentait d’adopter un jeu plus approprié, il ne pouvait probablement pas se débarrasser de son habitude du jeu moderne…
Le Concerto pour luth RV 93 est plus connu dans sa version pour la mandoline — le luth soprano, très populaire en Italie, se confondait avec cet instrument. Fidèle a son intention, Thomas Dunford prend une grande liberté, optant un tempo très flexible pour le deuxième mouvement. Le balancement de tempi comme des vagues propose une vision personnelle et nouvelle, et bouscule quelque peu notre écoute. Il nous surprend toujours par sa facilité technique et la juste équilibre de ses notes qui ne permet à aucun passage d’être ni lourd ni superflu. Son jeu, ainsi que le faible volume du son des cordes nous invitent à une formidable concentration et personne ne fait un bruit ; telle est la force de son interprétation.
L’ultime pièce programmée, l’air de Constanza « Agitata da due venti » de l’opéra Griselda, est une fois de plus une belle occasion pour montrer la virtuosité lumineuse de Lea Desandre et les musiciens de l’Ensemble Jupiter. Ils se répondent et se donnent des répliques dans une fabuleuse agitation intérieure. Ils donnent ensemble deux bis, l’un de Vivaldi et l’autre une composition de Thomas Dunford qui se met à chanter en duo avec la mezzo une mélodie pop en anglais mais arrangé dans un style baroque.