Un anniversaire sans frontières
Après l’ouverture des festivités du quarantième anniversaire de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, avec un concert dirigé par Michael Schønwandt le 15 novembre dans la grande salle du Corum, la journée du samedi 16, avec sa diversité de formats, souvent en entrée libre, offre un aperçu foisonnant de l’ancrage de la formation dans la cité, au-delà des clivages et des clichés.
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L’activité d’un orchestre ne se réduit pas au rituel du grand concert. Si l’usage de sortir des murs et d’investir la cité est désormais entré dans les mœurs, le programme de la deuxième journée des festivités anniversaires défend une vision œcuménique de la vie d’une phalange symphonique, sans pour autant diluer ses identités multiples dans la diversité des approches et des esthétiques. Ainsi dès le milieu de matinée, les musiciens de l’orchestre se succèdent en formations chambristes dans des « cartes blanches » d’une quarantaine de minutes, salle Pasteur, autour des grands piliers du répertoire, comme de raretés, à l’exemple du Quintette avec piano de Bacewicz, compositrice polonaise contemporaine de Chostakovitch, dont on retrouve un peu l’expressivité intense, dans une belle découverte, jouée avec sentiment et engagement. Après une séquence Piazzolla, place à un atelier de direction d’orchestre sous la houlette de Michael Schønwandt. Trois étudiants du conservatoire confrontent leur gestuelle devant une réduction à deux pianistes, et les conseils et l’oeil vigilant du premier chef de l’orchestre : l’Ouverture de la Flûte enchantée, puis Ma mère l’Oye de Ravel, avant d’inviter des spectateurs pour diriger les premières mesures de l’Ouverture de Carmen. Pédagogie et ludique riment, et Valérie Chevalier, la directrice artistique, n’hésite pas à relever le défi dans une convivialité où le public peut, dans ces formats courts et libres d’accès, s’approprier différemment son orchestre et son opéra.
A 17 heures, à l’Opéra Comédie, le concert électroacoustique conçu par Julien Guillamat, compositeur qui termine sa résidence de trois ans à l’Opéra Orchestre de Montpellier, réunit les forces chorales de l’institution et celles d’Opéra Junior, partenaire depuis plus de deux décennies, et dont le programme d’immersion au cœur de la saison d’un théâtre lyrique a été récompensé cette année par un prix du Syndicat de la Critique. Pour tous pupitres instrumentaux, un dispositif spatialisé de haut-parleurs entoure les auditeurs réunis au parterre, laissant le plateau pour les voix. Après quelques mots d’introduction par Julien Guillamat, ce sont celles d’Opéra Junior qui ouvrent le concert avec deux pièces d’?riks Ešenvalds. Très évocatrices, Spring, the sweet spring et Stars invitent à un voyage pastoral et minéral qui enveloppent l’auditeur, quelques solistes étant répartis en corbeille.
Donné en première mondiale, Surface tension pour violoncelle et dispositif électroacoustique, séduit par une écriture qui s’aventure dans les limites de l’instrument, aux confins du souffle et d’effets percussifs, sans jamais renier la séduction expressive, sinon le lyrisme, relayée par la virtuosité investie de Cyrille Tricoire, solo de l’orchestre montpelliérain. Depuis les premiers murmures sur les cordes, la partition déploie un dialogue ondoyant avec l’électroacoustique avant de revenir aux balbutiements initiaux, avec un appréciable sens de l’arche formelle. Révisé pour la présent programme, Tubular party tient sans doute davantage de l’installation, avec son ensemble de haut-parleurs, et ne manque pas son objectif immersif, explorant les ressources orchestrales de la lutherie informatique. Commande de l’institution occitane, Torrey Canyon développe des boucles répétitives autour d’un bulletin d’informations relatant la catastrophe du naufrage du pétrolier éponyme en 1967 au large de la Cornouailles, à la manière des Three tales de Reich – on songe en particulier à l’évocation de l’accident du dirigeable Hindenburg –, tandis que l’esthétique de collage fait penser au travail de Pierre-Yves Macé. Préparés par Noëlle Gény, les choeurs dynamisent les reprises, sans pour autant combler la relative inertie du morceau.
Enfin, à 19 heures, quelques trois cents mélomanes, avertis comme curieux, se mêlent aux musiciens de l’orchestre sur le plateau du Corum pour une soirée « Au cœur de l’orchestre », opportunément placée au milieu de ce premier week-end de célébrations anniversaire. S’inspirant d’initiatives portées par d’autres phalanges, entre autre germaniques, Valérie Chevalier a désormais inscrit ce rendez-vous au sein même de sa programmation, lequel rencontre un succès aussi immédiat que légitime. Si la disposition des pupitres s’en trouve quelque peu modifiée, réunis en amphithéâtre autour du chef, Michael Schønwandt, pour permettre au public de s’asseoir à côté des musiciens, l’expérience pour le spectateur se révèle unique, en le plongeant au cœur physique de la sonorité orchestrale. L’intelligence initiatrice s’incarne émotionnellement et sensuellement. Les numéros tirés des suites que Prokofiev a tirées de son ballet Roméo et Juliette, entendus depuis la salle la veille, résonnent avec une intensité inédite au milieu de la trame même de la musique. N’étaient les évidentes contraintes budgétaires liées au format lui-même, un tel point d’orgue se goûterait bien plus qu’une fois par an. C’est en tous cas un moyen magique pour le public de s’approprier son orchestre : une expérience qui parle mieux que bien des discours.
Gilles Charlassier
Week-end des 40 ans de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, Opéra national de Montpellier, Le Corum et Opéra Comédie, 16 novembre 2019
©Marc Ginot