Classique

La Descente d’Orphée aux Enfers au Festival d’Ambronay, véritable montée céleste pour le public

25 September 2019 | PAR Elodie Martinez

Ce weekend marquait le deuxième chapitre du festival d’Amronay qui fête cette année ses 40 ans! Un bel anniversaire au cours duquel le public est particulièrement gâté, entre rencontres, visites, conférences, spectacles et, pour la première fois, un “avis aux amateurs” permettant de participer au concert de clôture du 6 octobre aux côtés du Coro e Orchestra Ghislieri sous la direction de Giulio Prandi pour le bis… Les artistes marquants et marqués par le festival s’avèrent fort nombreux, et tous n’ont pas forcément pu répondre présent, mais bien d’autres le sont, comme l’Ensemble Correspondance et Sébastien Daucé rejoint par la haute-contre David Tricou pour redécouvrir une oeuvre oubliée de Charpentier : La Descente d’Orphée aux Enfers, complétée toutefois par des airs de Purcell pour une fin de journée autour du “Chant d’Orphée” dimanche.

Loin d’être séparé en deux parties bien distinctes, le programme mêle les oeuvres, formant ainsi un tout organisé autour de la figure et de l’histoire d’Orphée. Purcell ouvre la marche avec Welcome to all the pleasures composé en 1683. Dès l’Ouverture, l’ensemble fait entendre sa cohésion et son équilibre sous la direction de Sébastien Daucé, à l’écoute acérée, sur tous les fronts, oscillant d’un côté et de l’autre, habité par la musique à laquelle il redonne vie. Lorsque “Welcome to all the pleasures” résonne, c’est alors une véritable invitation maritale en écho à la fête maritale qui nous attend dans la première partie de l’opéra, de même que “Here the deities approve” porté par Lucile Richardot. Encore une fois, la cantatrice nous montre son talent exceptionnel et sa voix, ample, profonde, ambrée, colorée et puissante envahit le lieu jusque dans ses moindres recoins et fait corps avec la résonance de l’abbaye. Charpentier prend ensuite place avec le premier acte de son opéra. Là aussi, l’Ouverture donne le ton de la festivité et de la gaieté avant que les Nymphes et la Daphnée de Perrine Devillers ne se fassent écho, suivis d’Enone et Aréthuse (Adèle Carlier et Caroline Arnaud). Ici, la partie la plus aiguë n’a aucun mal à se faire entendre dans une ligne de chant claire et précise, mais la plus grave, loin d’être aisée pour une voix de dessus, éprouve quelques difficultés de projections.

Euridice arrive finalement sous les traits d’Elodie Fonnard qui habite joliment le personnage et en offre une belle interprétation écourtée, hélas, par la tragique piqûre du serpent l’amenant à succomber dans les bras d’Orphée. Celui-ci surgit à point nommé après ce funeste événement et alors que la musique accompagne le changement d’atmosphère, collant jusqu’à la fin de l’oeuvre à la psychologie des personnages, ou bien permettant d’imaginer aisément les entrées et les parties certainement dansées à l’origine. La voix de David Tricou porte à merveille celle du mythique héro de la musique et du chant : la projection est belle, la ligne lumineuse, délicate et posée, sans oublier la belle expressivité qui se fait entendre, comme lors du “Non! Tu ne l’as jamais aimé si tu diffères de la suivre”. La grave Etienne Bazola est pour sa part un Apollon profond et aimant qui vient alors encourager Orphée en cette fin d’acte. Toutefois, point d’entracte ou de pause durant la soirée, et point d’enchaînement non plus entre les deux parties de l’opéra, mais un intermède signé Purcell avec un extrait de The Fairy Queen, “If Love is a sweet passion”, et “Prepare, the rites begin!”, de Theodosius or the force of Love. Cette “pause” est pensée comme une réflexion entre les actes sur l’opéra, le premier étant interprété par Elodie Fonnard, Euridice s’interrogeant sur les affres de l’amour et de la passion dont elle est victime. Le second est chanté par Nicolas Brooymans, Pluton que l’on s’apprête à rencontrer dans l’oeuvre de Charpentier, nous préparant à l’accueil des Enfers dans lesquelles il règne.

L’acte II débute ensuite, nous laissant entendre Clément Debieuvre (Ixion), Davy Cornillot (Tantale), mais aussi et surtout Nicolas Brooymans (Titye et Pluton) ainsi que Caroline Arnaud (Proserpine). Le dieu des enfers porte assurément celles-ci dans sa voix grave, puissante et noble, tandis que sa femme amène son humanité et sa délicatesse dans la sienne. L’opéra se terminera par la victoire d’Orphée, au chant toujours aussi majestueux et blessé, et de Proserpine qui parvient à fléchir son époux : “Je cède, je me rends, aimable Proserpine, conjuré par vos yeux je n’ai plus de rigueur”. Le choeur d’Ombres heureuses, de Coupables et de Furies aura toutefois le dernier mot en conjurant Orphée et Eurydice – et peut-être aussi le public ? – a “demeurer toujours avec eux”, tout en appuyant sur le bonheur résultant de leur venue qui n’a rien à envier à celle du Ciel.

Si la soirée aurait pu se clore sur ce choeur, Sébastien Daucé a néanmoins adjoint deux autres airs de Purcell, le premier interprété pour notre plus grand plaisir par Lucile Richardot, “When Orpheus sang, all nature did rejoice”, qui participe également au second, “Let Phillis”. Si l’on comprend l’ajout du premier air, un peu comme un épilogue de l’histoire, le second paraît plus nébuleux, ce qui n’enlève rien à la beauté de l’ensemble.

Le résultat s’avère superbe, et le public conquis se montre tellement enthousiaste que l’ensemble reprend la dernière scène de l’opéra avec les choeurs face à ses applaudissements chaleureux et mérités. Encore une fois, la redécouverte d’une si belle oeuvre, bien qu’incomplète, nous amène à nous interroger sur les raisons de son oubli, tout en nous réjouissant de son écoute et, selon les mots de présentations du concert, de son enregistrement par Correspondances et Sébastien Daucé qui ne cesse de travailler avec talent à la transmission et la (re)découverte de la musique baroque.

© Bertrand Pichène

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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