Festival Européen Jeunes Talents à la Cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens
Depuis ses premiers concerts en décembre 1998 et sa première saison en 1999 dans des hôpitaux, l’association Jeunes Talents a toujours offert aux jeunes interprètes des précieuses occasions de se produire devant un public mélomane, et à celui-ci, de découvrir des talents de demain. Pour la 19e édition, son Festival d’été quitte le lieu habituel des Archives nationales pour raison des travaux et s’est installé à la Cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens, située juste derrière l’Hôtel de Soubise. Les deux derniers concerts, les 19 et 20 juillet derniers, étaient de très haute volée.
5 x 4
Derrière ce titre un peu énigmatique se cachent cinq musiciens jouant chacun d’un instrument à quatre cordes. Les violonistes Shuichi Okada et Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino et Manuel Vioque-Judde, et le violoncelliste Jérémy Garbarg se connaissent déjà fort bien ; camarades au Conservatoire, ils ont par ailleurs joué à maintes reprises ensemble, notamment pour des concerts de la Centre de la Musique de Chambre de Paris à la Salle Cortot. Autant dire qu’ils constituent un quintette bien rodé sans que cela n’ait jamais été une formation officielle. Au programme du 19 juillet : le Quintette à cordes en sol mineur K 516 de Mozart, « Moderato » du Trio pour cordes de Schnittke et le Quintette à cordes n° 1 en fa majeur op. 88 de Brahms. Dès les premières notes de Mozart, nous sommes d’abord agréablement surpris par une acoustique douce et enveloppante (nous étions dans les premiers rangs, mais elle ne devrait pas être la même au fond de la salle) qui favorise l’onctuosité des cordes. En effet, le bâtiment vient de connaître un important coup de rajeunissement qui a donné ce résultat plaisant. Pour Mozart, l’approche des musiciens est peut-être un peu trop « romantique », avec beaucoup de vibratos et des phrasés sinueux — en tout cas pour les oreilles de plus en plus nombreuses qui sont habituées à l’interprétation dite « historiquement informée ». De surcroît, par certains moments, les musiciens n’ont pas la même longueur d’onde, ce qui crée des décalages, certes infimes mais bien perceptibles. En revanche, le « Moderato » de Shnittke par Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde et Jérémy Garbarg est époustouflant. Des enchainements de plusieurs parties de l’œuvre, à caractères parfois très opposés, sont effectués comme une évidence, et les contrastes entre elles semblent symboliser, grâce à leurs archets, des aléas d’une existence, le tout dans un souffle en profondeur et des rythmes vigoureux. Pour terminer la soirée, le Quintette de Brahms atteint un degré d’expression étonnant qui peut même rivaliser à maints points avec un groupe de renom. L’entente entre les cinq musiciens et leur énergie collective (notamment dans le dernier mouvement) se transmettent directement à ceux qui écoutent, alors que leur mouvement lent fait plonger les auditeurs dans une réflexion quasi-philosophique.
Bruno Philippe & Friends
Pour le bouquet finale de son édition 2019, le Festival Européen Jeunes Talents donne une carte blanche au violoncelliste Bruno Philippe qui a choisi de « jouer la musique que l’on souhaite servir, avec des gens que l’on aime et que l’on admire. » Il fait ainsi appel à Liya Petrova, Eva Zavaro (violons), Adrien Boisseau (alto) et Jérôme Ducros (piano). Comme le concert de la veille, ces musiciens collaborent souvent, également dans le cadre du Centre de Musique de Chambre de Paris, et leur proximité joue à leur avantage pour rendre leurs interprétations vivaces et rafraichissantes. Le Quatuor pour piano et cordes n° 2 en la majeur op. 26 de Brahms est, selon le violoncelliste, « un des chefs-d’œuvre du maître allemand ». Le piano demi-queue Steingraeber (est-ce l’instrument que l’association a acquis en 2018 ?), assez sobre mais qui se marie très bien avec les cordes, déploie tout son charme sous les doigts de Jérôme Ducros, qui les « accompagne » dans le sens le plus noble du terme. Au violon, Liya Petrova est magistrale, extrêmement engagée tout en gardant une finesse infinie. Sous un aspect physique impassible, Adrien Boisseau apporte des pierres déterminantes à toute l’œuvre, comme un vrai magicien. Eva Zavaro rejoint Bruno Philippe et Jérôme Ducros pour le Trio pour piano et cordes n° 1 en do mineur op. 8 de Chostakovitch, où le mélange du post-romantisme et des propres caractères du compositeur, percutants et intenses, est magnifiquement mis en lumière. Dans le Quintette pour piano et cordes de Jérôme Ducros (2009), d’une facture apparentée au romantisme tardif et qui se joue d’un seul trait pendant 25 minutes, l’interprétation des cinq musiciens montre une étroite complicité entre eux, en une véritable réunion d’amis. Et au fond de ces trois pièces, telle une basse continue, il y a la présence de Bruno Philippe comme fédérateur de ces talents. Cette belle soirée inspirée a marqué la fin d’une festivité estivale qui va ensuite donner le relai à la nouvelle saison, au Petit Palais, au Cercle Suédois et au Lycée Louis Legrand.
Visuel © Jeunes Talents