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« Bois-aux-Renards » d’Antoine Chainas : Les Tueurs de la lune de miel

« Bois-aux-Renards » d’Antoine Chainas : Les Tueurs de la lune de miel

16 February 2023 | PAR Julien Coquet

Le croisement de quatre trajectoires au sein d’un étrange bois coupé de la civilisation conduit au pire et à la guerre de chacun contre tous. Le dernier roman d’Antoine Chainas intéresse certes par son intrigue, mais également par la langue qu’il déploie.

C’est l’histoire de quatre histoires singulières qui se télescopent. Il y a tout d’abord la jeune Chloé qui, en 1951, est sauvée d’un accident de voiture par trois hommes et une étrange femme, alors que toute sa famille a péri. Il y a aussi ce couple de quadragénaires, uni par l’amour que porte le mari, Yves, à sa femme, Bernadette. À l’été 1986, c’est l’heure des vacances, et le couple de partir en camping-car pour une randonnée meurtrière : repérant les proies (auto-stoppeuses, paysannes…), les tueurs en série les invitent à monter dans leur véhicule. C’est aussi l’histoire d’Anna, étrange enfant, un peu attardée, dont la mère est quasiment absente, qui se retrouve témoin d’un meurtre perpétré par Yves et Bernadette, et qui se voit prise en chasse par cet « homme à tête d’oiseau ». C’est enfin le roman d’une communauté qui vit coupée de la civilisation, qui obéit à ses propres règles, ayant construit ses croyances et sa mythologie.

Dans Bois-aux-Renards, Antoine Chainas construit une véritable histoire environnementale, scrutant les interactions entre l’homme et la nature dans un environnement hostile. Car le Bois-aux-Renards est immense et, en plein été, devient une véritable fournaise. Inhabité, le lieu est hostile, comme le remarque Anna, en fuyant Yves, qui « ne vit rien d’autre que les arbres, et une colline dénudée au loin, comme une île dans l’écume colorée dans un océan d’ulves. Même les insectes et le vent semblaient absents. Elle se serait crue seule au monde ». L’auteur, tel un laborantin, plonge ses personnages dans cette forêt qui avale ses visiteurs, et en observe les conséquences.

Bois-aux-Renards s’inscrit également dans la lignée des folk horror movies (The Wicker man de Robin Hardy en 1973, Midsommar d’Ari Aster en 2019…) avec cette communauté à part ayant développé ses propres croyances, en lien direct avec les nombreux renards présents dans le bois à la suite d’une expérimentation scientifique. Toujours dans le domaine de l’horreur, le roman peut être rapproché des Redneck movies avec ces citadins, Yves et Bernadette, qui se retrouvent face à une horde de ruraux dégénérés.

Si l’on est en droit de trouver certains passages trop longs (notamment les récits d’Admète qui coupent la dynamique romanesque), il faut surtout reconnaître qu’Antoine Chainas a du talent, arrivant tantôt à fasciner, terrifier et parfois faire sourire. Roman exigeant par la richesse de son vocabulaire, Bois-aux-Renards se révèle violent sans être complaisant, et se permet de dérouler les fils de son intrigue d’une façon inattendue.

« Sous peu, des dizaines de petits moribonds à fourrure avaient jonché la terre gorgée de sang. Les enfants s’étaient retirés quand l’abominable spectacle avait pris fin. Le silence avait succédé aux rires. On voyait encore de frêles silhouettes se tordre dans la poussière, japper de souffrance, l’échine rompue, le poitrail défoncée, les pattes brisées. Les adultes assis autour d’Yves, ceux parmi lesquels il avait pris place, s’étaient levés lentement, sans un mot mais de façon synchrone, comme obéissant à un signal ou au déroulement d’un culte. Chacun avait empoigné n outil à sa disposition : tournevis, cisaille, marteau… Yves n’avait pas eu besoin qu’on lui indique quoi faire. Il s’était levé lui aussi, la clef à molette entre les mains. À la périphérie de son champ de vision, Michel s’était avancé pour assener un coup au renardeau le plus proche de lui. Le reste du groupe avait alors entamé sa progression, les participants s’étaient déployés pour achever les petites victimes. »

Bois-aux-Renards, Antoine CHAINAS, Gallimard, Collection La Noire, 528 pages, 21 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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