Fictions
« L’Usure d’un monde » de François-Henri Désérable : Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs

« L’Usure d’un monde » de François-Henri Désérable : Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs

24 May 2023 | PAR Julien Coquet

Après le succès de son dernier roman, Grand Prix du roman de l’Académie française, Mon maître et mon vainqueur, François-Henri Désérable revient avec le récit de sa traversée de l’Iran fin 2022, dans les pas de Nicolas Bouvier.

Mais que lui est-il passé par la tête ? À lire les premières pages de L’Usure d’un monde. Une traversée de l’Iran, on est sidéré par tant de courage ou de bêtise (« si l’on est complaisant, on pourrait la [audace imprudente] qualifier de hardiesse ; sinon, de connerie ») : François-Henri Désérable, qui a longtemps reporté son projet de traverser l’Iran (Covid et promotion de Mon maître et mon vainqueur obligent), décide de se rendre en République islamique fin 2022. L’actualité de cet État autoritaire n’invite pas au voyage : le 16 septembre, Mahsa Amini meurt trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs, déclenchant le début d’une révolte qui gagne les quatre coins du pays. Mais qu’importe, pour François-Henri Désérable. L’auteur français, depuis ses vingt-cinq ans, est passionné par L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, récit de voyage publié en 1963 narrant les tribulations de l’auteur suisse de Genève à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Et Désérable de partir sur les traces de l’auteur suisse. 

En quarante jours, François-Henri Désérable parcourt une bonne partie de l’Iran, de Téhéran aux confins du Baloutchistan, en passant par Qom, Kashan, Ispahan, Chiraz, Yazd, Kerman… Désérable ne s’attarde pas sur des descriptions de paysage ou de villes, dont on peut trouver des photos sur le net. Ce qui intéresse avant tout l’auteur, c’est la rencontre, la discussion avec ses pairs iraniens lorsqu’ils parlent quelques mots d’anglais. Alors que la répression contre les manifestations fait rage, Désérable fait la connaissance d’Iraniens et d’Iraniennes motivés par la chute d’un régime inique. Au cours de son voyage, il ne croisera d’ailleurs qu’un seul véritable soutien à l’ayatollah Ali Khamenei… On est impressionné par le courage du peuple iranien prêt à donner sa vie pour que la lutte continue, car, comme ils disent, « derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs ».

Au-delà de l’aspect documentaire et politique du livre, L’Usure d’un monde fait preuve de l’humour que l’on a appris à connaître chez Désérable. Ce dernier se moquant gentiment par exemple de la tradition du ta’ârof, « un ensemble de règles de politesse non écrites, qui régissent les interactions quotidiennes », ou de celle du sigheh, un mariage temporaire qui permet de coucher à droite à gauche en toute légalité. Déplorant la qualité de la nourriture qu’il trouve dans les bouibouis, Désérable poursuit tant bien que mal son périple, rencontre quelques autres touristes. L’Usure d’un monde est certes un récit de voyage, mais aussi un manifeste de soutien au peuple iranien et une déclaration d’amour au livre de Nicolas Bouvier.

« Un mois seulement que je sillonnais ce pays, et déjà, je n’étais plus le même. Si l’on voyage, ça n’est pas tant pour s’émerveiller d’autres lieux : c’est pour en revenir avec des yeux différents. Et dilater le temps qui passe : chez soi, les heures nous filent entre les doigts ; en voyage, un seul jour a l’épaisseur d’une semaine, une semaine d’un mois, un mois d’une année, une année d’une vie entière. »

L’Usure d’un monde. Une traversée de l’Iran, François-Henri DESERABLE, Gallimard, 160 pages, 16 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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