L’échange des princesses, un beau roman cruel de Chantal Thomas
Chantal Thomas (Les Adieux à la reine, récemment adapté par Benoît Jacquot) livre un roman très incarné, centré sur un épisode historique édifiant : l’échange de deux petites princesses à marier, entre la France et l’Espagne. Un roman cruel et captivant.
Vif, nerveux, le style de Chantal Thomas nous plonge dans une Histoire vivante, qui n’a rien de figé ou de poussiéreux. Ici, elle nous donne à entendre les voix des deux princesses, objets d’un troc politique étonnant. Peu connu des non historiens, cet échange a été imaginé par Philippe d’Orléans pour consolider les liens entre la France et l’Espagne. On apprend que le duc de Saint-Simon s’est joint à l’entreprise. La petite Anna Maria Victoria est envoyée en France pour y épouser Louis XV. Dans une symétrie parfaite, Mlle de Montpensier ira en Espagne, épouser le Prince des Asturies, futur roi d’Espagne. La petite espagnole est une enfant de trois ans, la jeune française une adolescente de douze ans. A ces deux âges, les perceptions sont différentes : la toute petite fille baigne dans une atmosphère teintée de merveilleux. Tout lui paraît féérique, et surtout Louis XV, dont elle tombe éperdument amoureuse. Seulement, ce sentiment est loin d’être réciproque. Aux yeux du roi, l’infante-reine n’est qu’une gamine crispante. De son côté, le futur roi d’Espagne est séduit par la jeune et jolie Louise-Elisabeth d’Orléans qui, elle, est révulsée de dégoût. De leur pays, de leur famille, les nouvelles sont rares, déformées. Et le Roi d’Espagne ne reçoit des nouvelles de sa petite fille que par les portraits, miroirs d’un bonheur illusoire.
Autour de la petite Anna Maria Victoria, en France, se crée une bulle irréelle, tous les courtisans s’appliquant à « faire croire » au conte de fée programmé. En Espagne, Louise-Elisabeth se mure dans un refus obstiné, se précipitant dans les excès en tous genres, et faisant le vide autour d’elle. Chantal Thomas excelle à décrire les univers de cour de l’époque, où les dorures, le luxe, la courtoisie se mêlent à la saleté, aux maladies, à la brutalité. Sans forcer, avec une vraie empathie, Chantal Thomas nous restitue la voix de ces enfants de haute lignée, et pourtant ballottés d’un pays à l’autre comme de simples fétus.
Tout au long du roman, le parallèle des deux destins croisés est tenu. Deux trajectoires sidérantes, perdues dans le fil de l’Histoire.
Extrait : « Il joue à la guerre. Elle joue à la poupée. Quel équilibre plus parfait ? Tout semble dans l’ordre. Dans leur ordre. Les adultes ne seraient-ils que des fantoches à leur disposition, des figurants pour bals et batailles d’enfants ? » (p. 190)
L’échange des princesses, de Chantal Thomas,Editions Seuil, Fiction & Cie, 334 pages, Prix: 20€.