Fictions
Julia Palombe : “S’il y a bien une liberté qui nous reste encore, c’est de faire l’amour”

Julia Palombe : “S’il y a bien une liberté qui nous reste encore, c’est de faire l’amour”

26 March 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

La chanteuse, essayeuse, comédienne, danseuse Julia Palombe est désormais autrice de roman, elle vient de sortir le délicieux récit initiatique Toutes Les femmes sont des sirènes, elles pensent avec leur queue aux Editions Blanche.

Pourquoi faire un roman érotique maintenant dans ce contexte ?

Justement, s’il y a bien une liberté qui nous reste encore, c’est de faire l’amour. Je crois que quand nos libertés sont menacées, c’est peut-être le moment de se rappeler que nous avons cette liberté sexuelle. Je le rappelle parce que ce n’est peut-être pas très clair pour tout le monde : la liberté sexuelle c’est de choisir de faire l’amour ou de ne pas faire l’amour. C’est ce choix là qui est au cœur de mon roman. Je crois que dans une période où nous avons beaucoup parlé de consentement, c’est bien de rappeler que nous avons le choix. C’est bien d’apprendre à dire non ou à dire oui. Je rappelle que ce livre, j’ai commencé à l’écrire il y a un peu plus de trois ans.

Quand avez-vous commencé à l’écrire, et dans quel contexte ?

C’était après Au lit citoyen ! mon éditeur m’a dit comme ça « mais si tu faisais un roman ? ». Au début j’ai pris cela comme un défi. Je n’ai jamais écrit de roman, j’ai fait des essais, des poèmes, j’ai écrit pour le théâtre ou la presse mais jamais je n’ai écrit de roman. J’ai éclaté de rire quand il m’a dit ça, je me suis dit « bien sûr, qu’est-ce que c’est encore cette idée ».

Vous connaissez la fiction, il y en a dans vos chansons…

Bien sûr dans mes chansons et dans ce que je fais au théâtre dans les pièces que j’ai montées, les one man show. Mais je pense que nous nous faisons tous une idée du roman. Nous avons tous des grands romanciers en tête. Ça nous fait un peu peur je crois, à tous, même ceux qui n’écrivent pas. Nous nous faisons une idée de la plume.

Comment était cet exercice d’écriture ?

C’était très laborieux. Je n’ai pas du tout eu le syndrome de la page blanche parce que je suis quelqu’un qui a beaucoup d’idées. J’ai plutôt les pages très remplies que des pages blanches. Par contre, j’ai eu de mauvais manuscrits. Il a fallu beaucoup travailler pour arriver à quelque chose qui me plaise.

Votre roman a un côté conte initiatique qu’on aime beaucoup, un peu rétro. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette idée ?

Tout à fait pour le côté conte initiatique. Mais pour le côté rétro, pour moi non, mais je comprends. Mon roman est centré sur deux personnages féminins Louise et Aurore. Louise a soixante-dix ans aujourd’hui. Ses souvenirs, qui nous ramènent trente, quarante ans en arrière, sont des souvenirs par définition rétro. Ils ont une place très importante au sein du roman. Et il y a Aurore, qui est très jeune. Je crois que c’est la confrontation de ces deux pensées, de ces deux générations qui est importante. C’est pour ça que j’ai écrit le livre. Je me suis rendue compte après #Metoo que nous n’avions pas discuté de la relation entre femmes. Pour moi, c’est très important cette relation entre femmes et intergénérationnelle. Nous avons beaucoup balancé ce mot sororité, nous l’avons beaucoup entendu dans la bouche de personnalités comme Marlène Schiappa. Finalement quel est le chemin de cette sororité ? Il n’est pas évident à trouver. Il ne suffit pas de dire « aimons nous entre femmes », ce n’est pas si facile. Je crois qu’une des clés, c’est de s’écouter, d’écouter les ainées et d’écouter les jeunes femmes, de trouver ce pont entre les générations.

Ce serait un peu votre définition du féminisme ?

Oui, ça y contribue complètement !

Le personnage d’Aurore, est une femme d’aujourd’hui…

Aurore elle est complètement coincée, c’est une jeune femme qui est timide, très réservée. C’est une femme d’aujourd’hui, elle travaille, elle a acquis ce que nos parents nous disaient « ma fille, pour être libre, il faut travailler ». Mais elle a laissé complètement de côté sa sensualité, son désir charnel. Comme quoi, il ne suffit pas d’être perfusé à la pornographie, comme partout aujourd’hui, il ne suffit pas d’avoir des copines qui sont perchées sur talons aiguilles et qui changent de copains tous les week-ends pour être libre.

Et à côté, il y a Louise, est-ce qu’elle est vraiment libre ?

Louise a vécu les années 70. Elle est vraiment libre. C’est une femme qui a fait des choix toute sa vie. Elle est vraiment libre dans le sens, où elle a suivi sa sensualité, ce que son corps lui disait. Nous voyons dans ses souvenirs qu’elle était comme nous avons toutes été. Elle n’avait pas de dialogue avec son propre corps et ses propres sensations. Elle comprend très bien Aurore parce qu’elle aussi, elle a été une jeune fille qui ne comprend rien au regard des hommes sur elles, à ce qu’elle ressent et à ce feu intérieur. Louise, elle a suivi le langage de son corps et ça l’a amenée à cette liberté. Je ne crois pas qu’on soit beaucoup à pouvoir se targuer d’être aussi libre, puisque que c’est une femme qui à la fin de sa vie peut dire j’ai vécu, je suis heureuse et je suis entourée de ceux que j’aime. C’est quand même pour moi l’idéal ; j’aimerais bien, à soixante-dix ans, pouvoir en dire autant.

Vous parlez dans votre roman, vous êtes militante de la cyprine ! Il y a tout un mouvement autour du clitoris. Que vouliez-vous dire par là ?

(Rires) Alors. Lorsque nous pensons au sexe masculin, et d’ailleurs moi en tant que femme, ce qui m’a toujours épaté, c’est ce sperme qui sort de leur sexe. C’est quelque chose que nous savons assez jeune, ils en parlent beaucoup (rires). J’ai entendu parler d’éjaculation féminine très tard, à l’âge de 30 ans. Et même lorsqu’on commence à mouiller sans parler d’éjaculation, nous ne sommes pas très à l’aise avec cela. Aujourd’hui, la parole se libère. Moi pourquoi ça m’intéresse ? Parce que justement, je trouve que c’est important d’être à l’aise avec ce qui sort de notre corps et de dire que ça nous appartient et qu’on est aussi contente de le partager comme vous messieurs. C’est quelque chose de précieux comme chez les hommes, chez nous aussi. Même toutes les femmes n’ont pas encore découvert ce côté fontaine, nous savons que nous l’avons toutes potentiellement et je trouve ça chouette de le mettre dans un roman, de montrer que cela vient comme ça de manière à la fois naturelle et impromptue.

Pourquoi avoir choisi d’utiliser des flashbacks ? Et est-ce que c’est difficile à mettre en place dans l’écriture ?

Premièrement, ça a été une des grosses difficultés pour moi dans l’écriture parce que je devais gérer, évidement, comme toute romancière, mes personnages et leurs évolutions dans le temps. Mais l’évolution dans le temps était rendue difficile par tous ces flashbacks. Évidemment, cela demande un peu de sérieux dans l’écriture. Ce n’est pas pour me déplaire, je suis très scolaire.

Comment se manifeste ce sérieux ? C’est une organisation ?

Je prends des notes, j’ai des fichiers, je note tout. Cela faisait beaucoup rire mon éditeur, mais je déteste les erreurs, comme nous pouvons le voir dans les films, des faux raccords, quand ils oublient qu’elle avait acheté une paire de talons violets et après ils sont verts. Moi, cela ne peut pas m’arriver. Je marque tout : « elle a une paire d’escarpins qui lui a été offert par sa marraine, elle avait 18 ans et ils sont violets. » Je le marque comme cela je ne l’oublie pas et j’essaye que tout soit bien cohérent.

Et l’idée du flashback ?

Quand j’ai commencé à réfléchir, le titre m’est venu en tout premier, et il était à la toute fin d’un petit poème de quelques lignes. Cette phrase « Toutes les femmes sont des sirènes et elles pensent avec leur queue », m’a sauté aux yeux et au cœur, et je me suis dit que c’était ça le titre de mon roman, et que j’allais faire un roman. Je suis allée, avec ce petit poème, voir mon éditeur qui a complètement validé l’idée de ce titre.

Quel est le nom de ce poème ?

Le poème est à l’intérieur du roman, je le nomme. « Le monde de Gina » c’est ce poème dont je parle. J’avais ce personnage dans le poème et je me suis dit, que je n’avais pas envie de raconter à la première personne toute la vie d’une femme comme cela se fait souvent. Très souvent, nous ne savons pas si c’est un carnet secret ou une biographie. Je ne voulais pas. Je voulais prendre du recul absolument, et j’aimais beaucoup cette idée de l’ainée. Donc pour qu’elle soit âgée d’à peu près soixante-dix ans aujourd’hui, il me fallait revenir en arrière. Aussi, je trouve cela très romanesque voire cinématographique. Cela me plait beaucoup d’imaginer cette femme au crépuscule de sa vie, qui raconte à une jeune femme d’aujourd’hui. Pour moi, cela raconte beaucoup plus de choses que si elle le disait à la première personne.

Il y a un roman dans le roman ; finalement nous ne lisons pas les romans de Louise ; mais visiblement elle en a écrit beaucoup. Comment avez-vous articulé cette idée que c’était un roman qui parlait de plusieurs romans ?

Cela me plaisait que ce soit une romancière à succès. Cela me plaisait qu’elle ait réussi. Nous pouvons y voir un clin d’œil, à double titre, à Régine Desforges, qui est la mère de mon éditeur. Évidemment, ne serait-ce que physiquement, la chevelure rouge feu. D’autre part, Régine Desforges, nous la prenons pour une auteure érotique seulement mais ce n’est pas tout, elle a même écrit des livres de points de croix. C’est une femme qui a écrit beaucoup de choses et qui a eu énormément de succès. Et aussi, je vais le dire pour la première fois, je pense que ça peut être intéressant, nous pouvons voir encore une fois un clin d’œil dans le titre de mon roman : un des livres de Régine Desforges, celui qui m’a le plus touchée, s’appelle Toutes les femmes s’appellent Marie et mon titre Toutes les femmes sont des sirènes, elles pensent avec leur queue. Cela m’intéressait que ce soit une femme qui ait réussi avec notamment de la littérature érotique, parce qu’aujourd’hui, nous voyons bien que c’est une littérature qui a du mal à prospérer, parce qu’il y a eu la new romance. Je me suis dit que peut être que cela me porterait chance.

C’est un livre qui a un côté très parisien. Vous êtes une amoureuse de Paris…

C’est vrai, je suis complètement d’accord et ça me plait. Quand j’ai travaillé à l’écriture de mon roman, et je l’ai dit, que c’était laborieux, à un moment donné je me suis dit mais qui tu es, et d’où parles-tu. Je me suis dit, peut-être reviens à toi, pour être au plus juste de ton écriture. Je suis une parisienne, qui aime la littérature, qui aime l’érotisme, qui a baigné dans cette atmosphère montmartroise qu’on retrouve complètement dans ce roman.

Julia Palombe, Toutes les femmes sont des sirènes, elles pensent avec leur queue, Editions Blanche

Visuel : ©ABN

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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