Chloé Schmitt, Les affreux
A seulement 21 ans Chloé Schmitt, jeune étudiante de Science Po, signe ici son premier roman Les Affreux, paru chez Albin Michel depuis le 23 août. Un ouvrage troublant, ou la jeune écrivaine aborde la problématique difficile de la maladie, de l’immobilisme forcé, et révèle une écriture torturée.
Frappé par un AVC Alfonse Maubard se retrouve du jour au lendemain vissé dans un fauteuil, tétraplégique, honteux et haineux de ne faire que baver en permanence, de ne pouvoir que grogner pour s’exprimer. Condamné à subir son quotidien, Alphonse observe donc le monde avec amertume, un monde dans lequel il n’est plus que l’ombre de lui-même, si présent, si imposant et si absent à la fois et nous livre sa pensée, son constat. Ainsi, il commente sa vie brisée, celle de ses proches, de sa femme, de ces affreux qui l’entourent. S’il prend du recul sur ce qui fut, évoquant les failles de la vie à deux, les relations entre les êtres, il critique surtout cruellement la société qui l’entoure, la comédie humaine qui se joue tous les jours sous ses yeux sans qu’il ne puisse réagir.
A travers ce premier opus Chloé Schmitt fait preuve de par la thématique abordée, d’une grande maturité et s’illustre dans une écriture à la fois sombre et alerte. La vigueur et le réalisme des propos est saisissant, étonnant même au vu de l’âge de l’auteure. En outre, le style est déjà très affirmé, un style particulier empreint d’oralité, une narration morcelée, une syntaxe déséquilibrée comme le monde qui entoure le personnage principal, un ton noir, amer, sarcastique, troublant parfois même oppressant. Chloé Schmitt nous peint la descente aux enfers de son personnage, et montre que pour lui plus que pour n’importe qui : « l’enfer c’est les autres ». A travers ces personnages l’auteure nous montre l’incohérence de la vie, la futilité du monde qui nous entoure, l’indifférence de la société dans laquelle nous vivons. Toutefois, la mécanique d’écriture si originale au premier abord tend parfois à rendre la lecture pesante et à enfermer l’auteure dans une peinture un peu trop forcée de l’excès de désespoir et l’escalade de la souffrance. Au fur et à mesure de la lecture, pointe l’impression que l’on tourne en rond, accompagné d’une sensation de « trop plein » de pathos. Néanmoins, on reste subjugué par la maîtrise de la langue, les formulations acerbes, l’ironie, le talent à l’état encore brut, la force d’écriture, qui se dégage de ce premier roman tout de même prometteur.
Chloé Schmitt, Les affreux, Albin Michel, Collection Romans Français, 23/08/2012, 189P, 16 €
” L’accident, on l’attend toujours de derrière, d’autre chose, on se méfie jamais trop de soi-même”. p7
” Des gens passaient et repassaient sans aller nulle part qu’à la journée prochaine. […] Ils oubliaient que la Terre tourne rond. Attendre. La nuit puis le jour puis rien” p21
“Il n’y a pas de paix, il n’y a que la guerre.” p 189