Théâtre
La trahison comme essence de la <em>Démocratie<em> ?

La trahison comme essence de la Démocratie ?

25 September 2012 | PAR La Rédaction

Au Théâtre 14, Démocratie offre une fresque politique et humaine, sur fond de Guerre Froide. Une mise en scène intelligente des tractations de couloir constitutives de toute démocratie parlementaire.

Bonn, octobre 1969, Willy Brandt (Jean-Pierre Bouvier) est consacré 4ème Chancelier de la RFA par les députés du Bundestag. Homme de l’Ostpolitik et des prétentions de réunification, il inquiète les dirigeants de la RDA. Afin de surveiller ses ambitions et l’honnêteté de ses projets politiques, la Stasi envoie un espion, Günter Guillaume (Alain Eloy). Petit à petit, ce dernier prend ses marques au sein des rouages politiques de l’Ouest et devient le plus proche conseiller du chancelier nouvellement élu.

Inspiré de faits réels – l’affaire Günter Guillaume qui précipita la chute politique de Willy Brandt – Démocratie ne se résume pas pour autant à une fresque historique. Certes, le mur de Berlin, droit et fier dans tout le majestueux de son triste gris se dresse sur la scène, rendant le contexte omniprésent et inoubliable. Mais la pièce dépasse sa propre historicité en se focalisant sur les jeux mesquins de pouvoir constituant la « construction branlante » de tout système parlementaire. Dans une mise en scène volontairement épurée – les changements d’espace sont simplement figurés par des modifications dans l’ordonnancement des quelques tables qui constituent à elles seules le décor – rien n’est passé sous silence. Chaque personnage devient ainsi un symbole de ces petits riens qui marquent la vie politique d’un pays. Herbert Wehner (Jean-François Guilliet), chef du Parti Social Démocrate, dans son rapport obsessionnel au Parti Libéral rappelle avec cynisme la nécessité de composer avec les différents groupes politiques, quitte à acheter des parlementaires de l’opposition. Helmut Schmidt (Emmanuel Dechartre) devient le prototype de l’ambitieux, Horst Ehmke (Frédéric Lespers) la victime sacrifiée pour répondre aux attentes sociales de changement gouvernemental et Frédéric Nyssen campe le parfait bureaucrate, attentif aux poids de la rumeur et à la pression des médias. Les acteurs quittent rarement la scène, mettant en image ces incessants bavardages de couloirs qui sous-tendent toutes les sphères de pouvoir.

Démocratie est surtout une histoire d’hommes et d’amitié. Portée par les confessions de Günter Guillaume à son supérieur de la Stasi (Freddy Sicx), la narration donne accès aux impressions et aux sentiments de cet espion venu de l’Est. Seize ans qu’il attend de pouvoir servir les intérêts de la RDA. Au contact de Willy Brandt, figure providentielle, des doutes naissent pourtant dans sa tête bien ordonnée. Ces évolutions sont lisibles dans le jeu de l’acteur, les bouffonneries initiales s’effaçant peu a peu pour donner plus de place au registre tragique. Günter Guillaume voit et nous donne à voir un Willy Brandt double et ébréché. Il y a cette parfaite figure politique, ce « il » dont tout le monde parle, cet homme des discours silencieux et des gestes apaisants, il y a ce charisme magnétique qui électrise les foules et ces doux rêves d’Allemagne enfin réunifiée. Mais il y a cette dangereuse humanité qui manque à chaque instant de ressurgir aussi. Le héros a ses faiblesses. Porté sur la bouteille, incapable de résister aux femmes, l’homme est menacé par une tenace mélancolie et une sournoise tentation du vide. De plus en plus présente au fil de la pièce, cette faiblesse, exploitée par l’ensemble du personnel politique, finira par le conduire à sa fin.

Belle leçon de cynisme que celle ici donnée, puisqu’au final, Willy Brandt sera trahi par tous, sauf par celui qui incarnait la figure du traître. Etranger, insensible aux enjeux personnels d’accession au pouvoir, Günter Guillaume sera paradoxalement fidèle au chancelier jusqu’au bout, lui « le petit homme qui a regardé le grand et qui a dit qu’on pouvait lui faire confiance ».

Visuel : (c)  LOT

 

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