Chloé Delaume ouvre à nouveau le caveau familial
L’auteure du “Cri du sablier” est de retour avec un roman gothique et visceral où le linge sale familial s’expose au cimetière. Expérimentale, toujours, Chloé Delaume (alias Nathalie Dalain dans la vie) veut tuer sa grand-mère par le biais d’un roman.
Coup de théâtre dans l’œuvre autofictionnelle de Chloé Delaume. Passé trente ans, le personnage apprend que sa scène originelle (son père a tué sa mère et s’est suicidé sous ses yeux quand elle avait dix ans) n’en est peut-être pas une puisqu’elle apprend par une cousine que son père n’était pas son père. Elle en veut mortellement à sa grand-mère, cette femme froide qui ne pensait qu’à se faire les ongles le jour de l’enterrement de sa mère, de lui avoir caché ce secret. Elle lui en veut tellement qu’elle voudrait la mettre à mort à travers ce roman. Initialement « Dans ma maison sous terre » devait s’appeler « Le livre des morts ». Et, de fait, tout se passe dans un cimetière, où Chloé entretien de longues conversations avec Théophile, écrivain raté et romantique nécrophage. Gothique, adolescente encore à 35 ans et irrésignée, Chloé estime qu’il est scandaleux de cacher aux vivants ce qu’il advient du corps des morts. Alors, elle gratte la terre avec sa plume tout au long de ce roman, déterrant les paisibles morts des autres et ceux de sa famille. Une expérience qu’elle veut limite, comme toutes ses transgressions littéraires et qui la met à nouveau face au plus grand danger : la folie, l’hôpital psychiatrique et donc le discrédit alors qu’elle veut crier, s’exposer, se faire entendre. L’assassinat est la seule voie possible. Mais le mort qu’il faut n’est peut-être pas la vieille grand-mère médiocre…
Fascinant, ce roman l’est bien sûr par sa cruauté, et sa violence d’un face à face avec la folie et la mort que seule l’écriture peut soutenir. Mais encore plus intéressant et le jeu de l’autofiction, où le texte déborde dans tous les sens. Truffé de citations (Jean-Jacques Schuhl, Jacques Lacan, Henri de Montherlant et Sacha Distel), d’hypothèses (Qui est son vrai père ? Comment a eu lieu la conception ? Est-elle le fruit d’un avortement raté ? Sa mère a-t-elle passé un pacte avec l’homme qui l’a élevée jusqu’à dix ans ? Quel est l’avenir de l’édition du livre ?), et d’intertextes (Vian, Semprun, Darrieussecq et nombre de contemporains de Chloé), « Dans ma maison sous terre » continue sur le site de l’auteure sous forme « requiem expérimental » composé par Aurélie Sfez.
Chloé Delaume, « Dans ma maison sous terre », Seuil, 17 euros.
« Sur la paroi de mon cerveau, la sueur glisse, une honte au rabais. Plus je réfléchis au-dedans plus je me sens graine de fatum, pourriture au creux du ventre, le témoin licencieux d’une ironie tragique qui ferait de moi l’innocent coupable. Fruit de la guigne et du travail d’un homme. Je suis la plaie de ma famille. Je refuse de cicatriser » p. 87
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