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“Un beau soleil intérieur”: Quinqua au bord de la crise de cœur

“Un beau soleil intérieur”: Quinqua au bord de la crise de cœur

20 September 2017 | PAR Guillaume Laguinier

Servi par l’interprétation crémeuse d’un casting cinq étoiles brillant par sa justesse, Un beau soleil intérieur, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, raconte un fragment de l’existence d’Isabelle, jouée par Juliette Binoche, en quête du grand amour. Les déboires sentimentaux s’enchaînent au rythme du passage des amants. A la réalisation, Claire Denis s’illustre comme une excellente directrice d’acteur, là où le scénario, écrit et conceptualisé avec l’aide de Christine Angot et dans l’inspiration de l’entrée “Agony”, du Fragment d’un discours amoureux (Roland Barthes) tend trop au simple assemblage de scénettes.Le film est à découvrir le 27 septembre.

[rating=4]

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Il est difficile d’arriver à ses fins quand on cherche quelque chose, ici quelqu’un, sans savoir ni où, ni comment, ni même s’il existe…La tâche paraît d’autant plus ardue quand on a, en plus, la cinquantaine passé, et une vie affective (et familiale) déjà bien engagée. Voilà de quoi se mettre du bleu à l’âme.

Isabelle (Juliette Binoche) cherche l’amour, mais enchaîne, surtout, les aventures passagères. Dans l’ébat, Isabelle n’est pas froide, pas inactive, plutôt de bonne volonté, mais toujours désincarnée, toujours lasse. Son attitude, loin de la femme éprise, transforme l’émoi sexuel en une convention tacite entre deux êtres ; elle et ses différents amants couchent ensemble parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire, rien d’autre à ressentir, rien d’autre à vivre. Cette solitude fatale, petit à petit, fatigue Isabelle qui semble agoniser de l’intérieur. Le verbe n’est pas anodin : Claire Denis et Christine Angot ont travaillé depuis l’entrée “Agony” du Fragment d’un discours amoureux.

Assemblage de scénettes

Le choix d’une narration épisodique devrait conduire le film vers une perception singulière du temps qui passe et des jours qui, tous, se ressemblent: il n’atteint hélas pas totalement l’objectif et le spectateur n’échappe pas à l’effet « assemblage de scénettes ». Un parti pris regrettable qui engendre certaines longueurs. Le succès d’un film dont le sujet est le rapport humain dans ses dérivés affectifs repose, souvent, sur la conjugaison savante d’un jeu profond (pari réussi) et de dialogues précis (d’avantage en demi-teinte) . De jolies saillies laissent parfois place à un phrasé tiède et drolatique qui ne fait pas systématiquement mouche. Toujours, toutefois, dans une douce tonalité extrêmement maîtrisée.

Brillante lorsqu’elle sourit. Brillante lorsqu’elle pleure. Brillante lorsqu’elle bafouille. Juliette Binoche retiendra, bien sûr l’attention du spectateur la majeure partie du temps. Tout est fait pour que l’errance sentimentale d’Isabelle soit traitée dans la douceur. Le cadrage, les mouvements lents de caméra s’accordent avec la présence naturelle de l’actrice qui n’a besoin de rien dire, seulement de sourire pour être profonde et désirable. Le tout dans une ambiance sonore jazzy.

De l’amour…

Le partis-pris de Claire Denis semble évident : le film s’articule sur une femme, seule, et sa recherche frénétique de l’amour. Cette femme est une mère ? Et alors ? Sa fille, à peine mentionnée, n’apparaît que très brièvement. Pas question ici d’alourdir la dramaturgie avec une expression quelconque de la relation mère-fille. Cette femme est divorcée ? Qu’importe ! La figure de l’ex-mari (Laurent Grévill) n’est développée qu’à partir du moment où celui-ci redevient amant épisodique, une expérience comme les autres, inconséquente. Les premières histoires d’amour (de coucheries?) sont développées jusqu’à la moelle, les suivantes un peu moins, les dernières relèvent presque de l’anecdote narrative. Car toutes, finalement, sont les mêmes ; des histoires de passages, où les désirs éphémères du corps et de l’âme se travestissent, le temps d’un jour, d’une semaine, d’un mois, en élan amoureux insuffisant. Le rapport à la gente masculine est, de fait, le seul qui soit réellement exposé : la meilleure amie-confidente, incarnée par Sandrine Dumas, est le seul personnage féminin dont le lien affectif avec Isabelle soit mis en image.

Juliette Binoche n’est pas la seule à trouver le ton juste. Aucun des acteurs n’est en dessous, et tous les personnages développent, à travers leurs défauts, à travers leur humanité, une forme de poésie du réel et de l’archétype. Le banquier, pédant et conservateur, se retrouve dans la position de l’humiliant humilié. Le comédien trop conceptuel aime, puis n’aime plus, désire, puis repousse, offrant ainsi un reflet protéiforme aux incertitudes d’Isabelle. L‘excellent Philippe Katerine, en voisin loufoque intéressé, est cantonné au décor d’une poissonnerie de quartier. De par leur grande variété de caractères,et s’ils ne transcendent jamais leur modèle, la construction des personnages mène toujours à découvrir, chez Isabelle, un panel de nuances.

Point d’orgue de cette série de rencontres : Isabelle se confesse auprès d’un voyant (Gerard Depardieu) qui s’avérera tour à tour amical, sincère puis enjôleur, profond et léger, le tout en dix minutes. Le bureau est accueillant. Les teintes orangées. Et Depardieu, virtuose parmi les virtuoses, lance sa démonstration. Alors la mélodie commence. Un dernier mouvement plus chaud, mystérieux. Le slow laisse place à la valse. Le récital touche à sa fin.

 

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