Cinema
Rencontre avec David Wnendt, réalisateur de « Guerrière » et peut être futur grand nom du cinéma allemand

Rencontre avec David Wnendt, réalisateur de « Guerrière » et peut être futur grand nom du cinéma allemand

28 March 2013 | PAR Juliette Hebbinckuys

Pour son premier long métrage, le réalisateur David Wnendt aura frappé fort : 3 récompenses au Lolas (l’équivalent de nos Cesars), dont celui de meilleur film et meilleure actrice. Un succès amplement mérité puisque celui–ci ose dénoncer, dans un pays encore marqué par l’Histoire, les dérives d’une jeunesse en plein désarroi. Rencontre avec un homme à l’opposé des personnages qu’il décrit, simple et d’une gentillesse qui contraste avec la violence de son film…

Pour voir notre critique du film, c’est ici

« Guerrière » parle d’un sujet sensible, le néo-nazisme qui se développe en Allemagne. Pensez vous que c’est un sujet tabou ? Avez-vous eu de la difficulté à trouver des financements ?

Non on ne peut pas vraiment parler de tabou, on peut seulement dire que c’est un sujet qui a été ces derniers temps un peu négligé. Le dernier film sur le nazisme remonte déjà à quelques années, alors que d’autres sujets étaient plus au premier plan, comme l’islamisme par exemple. Mais on ne peut pas dire que c’est un tabou. Il faut savoir aussi que dans la réalité, le problème n’a pas disparu, il est autant là qu’avant. Mais on l’a peut être moins traité, dans les médias ou dans le cinéma, qu’avant.  Je ne peux pas dire que c’est la raison pour laquelle j’ai eu du  mal à trouver des financements, pas vraiment. Depuis toujours il y a des gens qui pensent qu’il ne faut pas parler de ces sujets là, et à l’inverse il y en a d’autres qui disaient qu’il faut justement parler de ces gens là. Donc il y avait toujours des aides, des subventions, des télévisions, des distributeurs, qui pensaient que c’était un sujet important dont il fallait parler, et d’autres qui pensaient que ce n’est pas le cas. Mais on peut peut être dire que c’était aussi difficile de trouver des financements pour ce film là que pour n’importe quel autre film. C’est toujours une lutte pour un réalisateur de trouver des financements, quel que soit le sujet.

A votre avis, pourquoi cette montée de l’extrême droite, et en particulier chez les jeunes ?

En fait, je ne crois pas du tout que c’est un phénomène qui concerne uniquement la jeunesse, c’est simplement que chez les jeunes on le voit plus car il y a la musique, les tenues vestimentaires et  du coup le phénomène est beaucoup plus visible. Mais les sujets de l’idéologie nazie sont aussi partagés par d’autres couches de la population, par exemple la xénophobie ou la déception du système démocratique. Mais je ne crois pas qu’une femme qui a 40 ou 50 ans, même si elle a des idées antisémites ou xénophobes, l’exprimerait de la même façon ou aussi visiblement que les jeunes.

Une grande partie du film est fondée sur vos recherches et vos rencontres avec des néo-nazis. N’était ce pas trop difficile de fréquenter un milieu que vous dénoncez ?

En fait c’est comme un journaliste, qui doit aussi parler avec des gens dont il ne partage pas du tout les opinions, qu’il rejette en tant que personne. Ça fait simplement partie du métier, ça fait aussi partie du métier de cinéaste. J’ai souhaité donner une description réaliste, authentique, de comprendre pourquoi les gens adhèrent à ces mouvements. Et j’étais pris d’une grande curiosité, c’était ça, mon mobile principal. Et aussi, quand on commence à faire les recherches, on parle tout d’abord avec des êtres humains, tout à fait normaux et on peut après être choqués par leur disponibilité à la violence ou par leurs idées qu’ils défendent. Mais au départ, ce sont des entretiens tout à fait normaux, qui font tout simplement partie du métier qu’on exerce.

La place de la femme dans ce genre de mouvement est au cœur du film. N’est ce pas inhabituel pour un homme de se pencher sur un point de vue complètement féminin ?

C’est justement ça qui est intéressant. Je trouverai ça affreux si les hommes ne pouvaient faire de films que sur les thèmes masculins et les femmes sur les thèmes féminins et je pense qu’il s’agit d’êtres humains et qu’il n’y aucun sens d’insister sur la différence des sexes à ce point là. Je crois aussi que le fait qu’un homme se penche justement sur les problèmes de femmes montre des aspects et de nouvelles combinaisons possibles qui sont intéressantes à explorer. Je suis sure que si une femme avait fait un film sur le phénomène des femmes dans ces milieux néo-nazis, ça aurait été un autre film. Mais si un autre homme avait fait un film sur le même sujet, ça aurait aussi été un autre film.

Dans « Guerrière », Alina Levshin est étonnante de justesse et de vérité. Avez-vous eu besoin de la guider ?

Le travail avec les acteurs reprend toujours différents éléments, la chose la plus importante étant bien sûr le casting. Mais déjà dans le casting, ces deux facettes contradictoires (de Marisa)doivent être exprimées. Elle doit être capable d’avoir à la fois cette disponibilité à la violence et en même temps laisser paraître ses émotions, montrer sa sensibilité. Et je pense que quand un acteur, déjà lors du casting, n’est pas capable de montrer ces aspects là, ce serait très difficile même impossible de les faire ressortir et exister par la mise en scène. Donc Alina, déjà lors du casting, a montré ces différentes facettes et ensuite on a continué à travailler, il fallait lui donner de l’espace de jeu pour qu’elle puisse continuer à les montrer. Un autre aspect très important est le costume, la coiffure. Par exemple elle portait des chaussures très lourdes avec des pointes en acier qu’on ne voit jamais dans le film, mais qui font qu’elle marche d’une façon différente, sans que ça soit visible. Et la coiffure, notamment et ses vêtements, font aussi qu’elle se voit différemment et qu’elle est perçue différemment par les gens qui la regardent. Et tout ça, ensemble, aide l’acteur à construire le rôle. Puis nous avons, du coté technique, incroyablement allégé le dispositif. On a travaillé avec la caméra à l’épaule, on a essayé de créer un espace de liberté où l’acteur puisse vraiment s’exprimer. Mais la chose importante était vraiment ce casting où elle avait déjà montré toutes ces dispositions qui étaient nécessaires pour composer le rôle.

La plupart des jeunes présents dans le film ne sont pas des comédiens professionnels, avez-vous eu du mal à les gérer ? Plus que le coté ludique d’un tournage, ont-ils saisi le propos que vous dénonciez ?

Non je n’ai eu aucun mal à les gérer ! (rires)Mais ils étaient totalement conscients de ce qu’ils faisaient, c’était des jeunes qui venaient de la région, qui venaient de  milieux sociaux à peu près comparables, mais ce n’était pas du tout des nazis. Et c’était même parfois des gens qui étaient sympathisants de la gauche, donc ils savaient qu’ils jouaient des rôles, mais ils n’ont pas eu besoin d’une formation ou d’une instruction supplémentaire pour comprendre ce qu’ils faisaient dans le film. Jella Haase (qui joue le rôle de Svenja), est très jeune, elle a 17 ans et elle n’a pas encore achevé sa formation d’actrice, mais elle a dès l’âge de 13 ans joué dans de nombreux films, donc elle a l’habitude du cinéma. Alors que Wasil Mrowat (Rasul, le jeune afghan) pas du tout, c’est un enfant qui va à l’école, il a 14 ans et c’était son premier film.

Avez-vous déjà d’autres projets pour la suite ?

Oui, j’aimerais continuer sur la jeunesse, travailler avec de jeunes acteurs. J’ai déjà un autre scénario mais qui ne parle plus de la violence. Cette fois-ci, je m’intéresse à la sexualité…

Avez-vous des réalisateurs que vous admirez, dont vous aimeriez suivre la trace ?

Alors bien sûr, les admirations changent au cours des années. Quand j’avais 18-19 ans, j’étais admiratif de David Lynch. Entre temps, ça a pas mal changé. Aujourd’hui, parmi les cinéastes allemands, j’admire énormément Andreas Dresen, justement pour son travail avec les acteurs. Il travaille beaucoup avec de l’espace libre pour les acteurs, de l’improvisation, il fait des fois des films sans scenario par exemple. Ou chez vous, Bruno Dumont, les frères Dardenne…  Et Miranda July, que moi j’admire car je ne pourrais jamais faire de films comme elle, mais c’est une grande admiration que j’ai pour son travail de réalisation.

C’est votre premier film et vous êtes déjà primé 3 fois aux Lolas. Qu’est ce que ça fait ?

Maintenant, ma carrière ne peut plus que descendre ! (rires)

 

Visuel : JH

 

Mamie Gangster de David Walliams
Happé et heureux qui comme un spectateur fit un beau voyage avec la démiurge Sonia Wieder-Atherton
Avatar photo
Juliette Hebbinckuys

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration