Happé et heureux qui comme un spectateur fit un beau voyage avec la démiurge Sonia Wieder-Atherton
Sonia Wieder-Atherton donnait vie à sa dernière création Odyssée pour Violoncelle et chœur imaginaire à la Gaité Lyrique le 27 mars. Un voyage hors des limites du temps, du corps, du réel et de la mesure.
Sonia Wieder-Atherton vit la musique et trace son chemin comme une étincelle permanente ouverte à la rencontre, tournée vers les spectateurs. Elle leur prit la main pour leur donner à entendre Chants d’est, Chants juifs et ouvre la porte d’un nouveau monde, celui de la Méditerranée, brulant de soleil, gorgé de mythes. Une scène ronde au parterre de sable chauffé par le soleil brûlant, entourée de gradins en p ierre, une femme seule face à la mer, sa relation passionnelle avec les Dieux, des batailles, des successions d’aventures, Bach, Prokofiev, le sublime Schumann, Franck Krawczyk, Georges Aperghid et autres compositeurs inspirés, tout sur le papier semblait attirant et présageait un joli concert mais aucun spectateur ne pouvait présager d’un tel bouleversement physique et artistique.
La Gaité lyrique est comble, les gradins se remplissent, les spectateurs frileux viennent trouver un asile chaleureux pour une nouvelle aventure musicale.
La lumière se fait nuit, une explosion, Sonia Wieder-Atherton et son violoncelle s’installent, la lumière brûle la scène, du sable brillant noir, des bâches, des cartons blancs, une artiste seule, la simplicité à l’état pure. Dès les premières secondes les spectateurs sont happés, saisis, arrachés au réel, plus de temps, plus de vie, de mort, tout devient possible et inexplicable. Pas une poussière de superflu, pas un gramme de pathos, la violence brutale de la vie traverse nos corps haletants. L’espace se transforme à chaque mouvement, Sonia Wieder-Atherton fait naître le monde en notes, les sons se croisent, se mêlent, résonnent dans les veines des spectateurs extatiques, la lumière de François Thouret, le décor de Romain Pellas, tout est en mouvement, à sa juste place, celle du rêve.
Les apparitions d’image sont constante, rien n’est illustré, tout est à traverser comme sa propre vie, une histoire, des doutes, des esprits, des vagues cinglantes, la tempête, des flots vibratoires et pulsionnels absolument indescriptibles.
Mettre des mots sur ces sensations semble impossible et vain, un vertige, une absence, une vague qui vous chahute, vous fait vaciller, tourbillonner jusqu’à vous perdre et respirer à nouveau pour trouver la fureur de vivre.
L’instrument, son interprète ont la hardiesse de dialoguer avec une bande son imaginée, enregistrée par Sonia Wieder-Atheton, réalisée par Franck Rossi et de modeler une pâte sonore parfaite et probante comme jamais sur les scènes habituelles.
Odyssée pour violoncelle et chœur imaginaire c’est un emportement, la douleur de l’enfantement, la désespérance, la peur de la mort, un transport, le premier cri, le premier pas, chuter, se relever, retomber, se relever, sentir les ajoncs, marcher pieds nus sur le sable, regarder une mer de nuages, voir un enfant s’endormir, lâcher prise, perdre son chemin, le retrouver, tomber amoureux, découvrir le monde, cueillir et goûter un fruit mur, dépasser sa peur, la caresse du vent, la fureur, le premier soleil du printemps, la folie intérieure, l’odeur de la vanille, le bonheur, l’herbe fraîche, un chocolat très chaud, des graines de grenade, un rêve, le sens de la vie.
Audacieuse, Sonia Wieder-Atherton, risque l’intime, ose le chaos, l’impudeur la plus folle, brutale, animale, au sens le plus beau et le plus puissant du terme.
Le violoncelle, les sons, les chants, le décor, les lumières, les images intérieures, tout se mélange et tournoie entre chaque organe, l’expérience est corporel, il ne s’agit plus d’écouter de la musique, de regarder une interprète mais d’être acteur, de vivre chaque seconde comme si c’était la dernière, en suspension sur une vague très haute comme un funambule entre deux tours.
Un tel don de soi est surhumain, même submergée elle résiste offre son corps comme un écho, éclate les limites. Sonia-Wieder-Atherton fait naître l’Homme en mieux par le souffle, la Méditerranée fondatrice du monde, catharsis et mimésis à la fois, tous les Dieux et les éléments se sont donnés rendez-vous pour cette Odyssée.
Une émotion vibrante, une exploration des sentiments intimes et profonds, un danger, un état d’urgence, un vertige salvateur.
Les spectateurs étaient d’une écoute rarissime, pas une toux, pas un mouvement, à peine une respiration, un sursaut le temps d’un éclair, des flots de larmes, des sanglots comme ceux du tout petit au moment de l’adieu au spectacle.
Sonia Wieder-Atherton fait vibrer les spectateurs d’un revers de sa main vive et habile, happés, bouleversés, stupéfaits, comme k.o, groggy par ce sublime voyage. Emportés loin dans les sentiments et l’émotion ils applaudissent, crient bravo et peinent à revenir au monde.
Sortir les jambes vacillantes, oublier son nom, son origine, sa destinée, son égo et retrouver les rues de Paris comme un univers inconnu à réinterpréter. Tout est pareil tout est différent, l’art, la vie, la musique grouillent dans chaque corps, infuse et restera à jamais en mémoire comme un moment unique pour tous ces gens désormais proches dans leur multitude et les différences.
Cette puissance artistique est rarissime, l’humanité entière devrait vivre ce spectacle, les plus grandes salles doivent absolument s’arracher et programmer cette beauté exceptionnelle. Si tous les spectacles et récitals avaient cette saveur, la vie prendrait des allures de miracle et les spectateurs seraient sans doute plus nombreux au rendez-vous dit classique quel que soit leur âge.
Pour vivre cette expérience bientôt, il faut aller à Nanterre le 3 avril, à Saint Quentin en Yvelines les 5 et 6 avril, à Cébazat le 9 avril, les 18, 19, 20 avril à New York, le 29 juin à Noirlac.
Visuels : (c) Bérénice Clerc