La Cinémathèque rend hommage à Pialat, peintre et cinéaste
Dix ans, c’est le nombre d’années qu’il aura fallu attendre pour voir l’un des plus grands cinéastes français contemporains avoir sa rétrospective à la Cinémathèque. En 1998, celui qui n’avait pas eu le droit à Chaillot prend sa revanche et s’installe pour le plus grand plaisir des cinéphiles dans les quartiers de Bercy.
Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque et critique de cinéma français le déplore : Maurice Pialat est “le plus grand des cinéastes français contemporains qui demeure méconnu”. En France comme à l’étranger, il faut croire que le public a raté l’œuvre singulière de ce cinéaste, dont on ne retient, à tort, que son caractère dur et angoissé ou ses grandes frasques sorties à Cannes. Dix ans après sa mort en janvier 2003, qui avait laissé les gens de la profession dans une grande tristesse, la Cinémathèque propose, du 20 février au 07 juillet, une grande rétrospective dédiée à ce cinéaste hors-pair, qui maniait avec une aisance particulière aussi bien les pinceaux que les caméras.
De “L’enfance nue”, son premier film sorti en 1967 au” Garçu”, la Cinémathèque présente une rétrospective qui comporte les dix longs-métrages de Pialat : “A Nos Amours”, qui avait fait connaître Sandrine Bonnaire au grand public, “Loulou”, film dans lequel Gérard Depardieu, acteur fétiche du réalisateur s’illustre, “Nous ne vieillirons pas ensemble” ou “Sous le soleil de Satan” injustement hué lors de sa remise de la Palme d’Or à Cannes en 1987, la Cinémathèque marque sa volonté de rendre hommage à Pialat, cinéaste qui s’est toujours senti en marge de la profession. Faisant preuve d’une grande ténacité et d’un pessimisme fort à toutes épreuves, c’est à travers ses films criants de vérité que le public pourra redécouvrir l’unicité de son œuvre. La rétrospective propose, en plus de la diffusion de ses longs et courts métrages, les films qu’il a tourné pour la télévision, comme “La maison des bois”, quatre épisodes qui s’inspirent directement de “L’enfance nue”.
Mais ce n’est pas tout ; avec l’aide de sa femme, Sylvie Pialat, la Cinémathèque a aussi puisé dans les archives du cinéaste pour ressortir dessins, esquisses et tableaux qu’il avait peints lors de son passage aux Beaux-Arts de Paris. Car oui, la première passion de Pialat fut la peinture, art qu’il met en scène à la perfection dans son film “Van Gogh”, on l’on retrouve un Jacques Dutronc possédé par le rôle de Vincent. A travers ce prisme, l’exposition présente donc plus de 200 documents inédits : des photos avec Daniel Toscan du Plantier, son ami et producteur mort un mois après lui, Depardieu, Cavalier ou Bonnaire, des bouts d’essais, des scénarios annotés, une lettre de notice à l’usage de son premier film, 33 tableaux et 16 dessins représentants des natures mortes et des paysages ou encore la lettre émouvante de Simone Signoret qui avait refusé de tourner dans “La Gueule Ouverte” en 1973 “parce que dans le fond, c’est à la mort que je disais non, pas à vous”. Serge Toubiana, auteur du catalogue de l’exposition explique à l’AFP qu’il a voulu retracer “le parcours assez étrange d’un homme insatisfait” dont “le remords et le ressassement sont des fondements de sa vie”.
Un ressassement certain peut-être lié à son entrée tardive dans le monde du cinéma : alors que ses compères de la Nouvelle Vague, dont il ne s’est jamais senti proche, ont depuis longtemps lançé leur carrière, c’est à 43 ans que Pialat sort son premier film, “L’enfance nue” sur un de ses thèmes favoris, l’enfance et l’abandon. Livrant une vision pessimiste du monde, qui donne à voir la séparation, la mort et le désespoir social, quelque chose fait pourtant retour dans ses films, une inexprimable solitude qui lui permet cependant de voler des moments de vérité. Et c’est véritablement là que s’opère tout le travail de Pialat: réussir, grâce à une direction des acteurs soit très proche soit très lâche, à filmer ces instants presque banals pour les porter aux nues, à faire du quotidien une œuvre d’art.
Pour preuve, on retiendra ces quelques mots que Godard adresse à Pialat, après avoir visionné “Van Gogh”, dans une lettre présentée dans l’exposition : “Heureusement que vous êtes entré plus tard que les autres dans l’ordre, puisque vous entrez plus tôt dans le beau, le calme et le voluptueux […] Votre oeil est un grand coeur qui envoie la caméra courir les filles, les garçons, les espaces, les temps et les couleurs comme d’enfantines bouffées de sang”.
Celui qui déclarait le 15 février 1992 dans le journal Libération « J’ai arrêté de parler, parce que je dis trop de conneries » n’avait pas tout à fait tort, mais ses conneries, on les a facilement oubliées. Beaucoup plus que son œuvre qui révèle le « soleil noir » de l’humanité.
Visuel : Maurice Pialat et Sandrine Bonnaire, tournage d’À nos amours. William Karel 1982-1983. Fonds Maurice Pialat, don Sylvie Pialat © William Karel
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Institut Lumière
Et pour les lyonnais : l’Institut Lumière rend hommage à Maurice Pialat avec l’intégrale de ses longs métrages jusqu’au 24 mars et reçoit mercredi 13 mars à 19h30, Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française, pour une conférence et la projection de A nos amours