Cinema
Épidémie et cinéma : revoir le “Nosferatu” de Murnau

Épidémie et cinéma : revoir le “Nosferatu” de Murnau

17 March 2020 | PAR Julia Wahl

De ce film culte de Murnau, chacun se souvient de la silhouette aux ongles crochus et au dos voûté de Max Schreck, alias Comte Orlok/Nosferatu. On se souvient également des filtres de couleur, qui participent de son étrangeté, et de l’origine de son titre, qui viendrait du fait que le réalisateur n’a pas obtenu les droits du Dracula de Bram Stocker. Obligé dès lors de ruser avec le livre-source, il modifie le nom de ses personnages, sa géographie (l’Allemagne remplaçant l’Angleterre) et une part de la trame narrative. Désormais, le vampire apporte avec lui, par les les cales d’un navire qui transporte des rats, le bacille de la peste. Ce dernier aspect, souvent occulté, occupe pourtant une bonne partie du film.

Faire du vampirisme une métaphore de la contagion n’est certes pas propre à Murnau : la dernière phrase du Bal des Vampires n’est pas sans évoquer celle de La Peste de Camus (“Il savait que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais”) et la récente série de Netflix intitulée simplement Dracula (créée par Steven Moffat et Mark Gatiss) souligne abondamment cette équivalence, avec son centre de recherches scientifiques et les longues conversations entre le vampire et l’avatar du Professeur Van Helsing. L’un des intérêts, aujourd’hui, du film de Murnau est de faire des angoisses de la quarantaine et de l’épidémie un objet et, partant, de les mettre à distance.

Notons également qu’il porte, avec le sacrifice final d’Ellen, la question du bouc-émissaire, posée lors de toute épidémie d’ampleur : Œdipe lors de l’épidémie qui ravage Thèbes, les Juifs lorsque les mêmes épidémies déciment l’Europe médiévale (relire l’analyse qu’en fait René Girard dans Le Bouc émissaire)… On sait que des personnes d’origine asiatique ont déjà fait l’objet de violences racistes ces dernières semaines… Aux mêmes causes, les mêmes effets ?

Un film qui est donc à voir et revoir pour les questions qu’il soulève comme pour ses qualités esthétiques et narratives, disponible sur le site d’Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/003543-000-A/nosferatu-le-vampire-de-f-w-murnau/

Visuel : affiche du film

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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