Cinema
Deux jours au Festival Premiers Plans d’Angers : Deuxième journée

Deux jours au Festival Premiers Plans d’Angers : Deuxième journée

29 January 2022 | PAR Yohan Haddad

Pour sa 34ème édition, Toute la Culture s’est rendu au Festival Premiers Plans d’Angers, qui récompense les premiers films de réalisateurs et réalisatrices. Au programme de ce vendredi 28 janvier, un destin de femme malmenée, une plongée dans la tête d’un tueur, une troupe d’excentriques burlesque et un voyage dans la Bulgarie d’aujourd’hui…

Les Poings desserrés – L’étau de l’émancipation

Grand lauréat de la section Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes, Les Poings Desserrés est une œuvre qui n’a pas volé son titre, bien au contraire. Ce premier film de Kira Kovalenko, présenté en compétition à Premiers Plans, est un petit bijou d’émotion brut, tout droit issu des provinces russes. 

Le film s’ouvre sur le visage de Ada, filmé en gros plan, emmitouflée à demi sous le col de son pull, annonçant d’entrée de jeu le côté blanc et noir de ses émotions. Elle est tout au long du récit sur un terrain sentimental volontairement difficile à identifier, soulignant l’hésitation de son état d’esprit : proche de son frère, elle est terrifiée par la figure paternelle, sorte de tyran froid et taiseux anti-conformiste, qui retient sa fille sous les filets de sa cruauté, l’empêchant constamment de grandir. Elle va tenter de s’émanciper au fil des différentes intrigues familiales, notamment avec son autre frère Akim, revenu d’une autre ville pour une raison inconnue.  Il est, lui aussi, une grande figure taiseuse, tout en jouant son rôle d’aîné protecteur vis-à-vis de Ada. Après un incident, il va pourtant se calquer sur le caractère du père, bloquant à son tour le destin de la jeune femme. Ada est toujours enfermée psychologiquement par les hommes, qu’ils soient frères, amants ou amis. Elle devient dès lors sublimée par la caméra de Kovalenko, la valorisant constamment dans ses tourments, faisant d’elle une véritable héroïne de roman. En résulte un portrait de femme puissant, solitaire parmi les hommes, mais bien plus forte qu’eux dans sa soif de liberté et d’affranchissement. 

Bruno Reidal – Dans la tête d’un tueur

Qu’est-ce qui amène un tueur à tuer ? D’où proviennent ses pulsions, sont-elles maîtrisables ? Ce sont les questions qui émaillent le premier film de Vincent Le Port, sélectionné à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes. Bruno Reidal se penche sur le destin d’un jeune homme de 17 ans du début du XXe siècle, emprisonné puis interné après le meurtre d’un enfant innocent au cœur du Cantal. 

En adoptant une approche clinique, le film va suivre, en une narration chronologique partant d’un retour dans le temps, les raisons qui ont poussé le jeune Bruno à commettre ce crime. Vincent Le Port s’intéresse à son enfance et à sa manière de gérer ses pulsions, remontant jusqu’à ses années d’internat où celles-ci vont s’accroître au contact d’autres garçons de son âge. Le cinéaste mène avec précision son récit ainsi que sa mise en scène, en prenant le parti de ne pas traiter son personnage comme un monstre sans fond. Sa psychologie y est constamment explorée, la voix off fonctionnant comme un diagnostique médical d’1h45. Chaque geste, chaque pensée est exprimée par Bruno, de sa première pensée meurtrière jusqu’à sa première masturbation. 

La mise en scène de Vincent Le Port souligne ce caractère cathartique à travers une cinématographie froide aux tons grisâtres, collant au mieux à cette époque qui nous apparaît comme un temps où il ne fait pas bon vivre. La religion y est constamment maltraitée, tout comme l’homosexualité latente qui entoure Bruno. Rarement une figure sanguinaire n’avait semblé si humaine, grâce au talent stupéfiant du jeune Dimitri Doré, dont c’est le premier grand rôle au cinéma. Une œuvre brutale et choc qui s’implante avec force dans les esprits.

Broadway – Euphorie en mouvement 

En salle panoramique du Centre des Congrès d’Angers, un grand bruit se fait entendre : les sièges comblés applaudissent à grand bruit la présentation du film par son équipe. Ils sont venus en groupe, comme une famille, pour présenter une œuvre qui s’annonce audacieuse. Pour son premier film en compétition officielle, le grec Christos Massalas nous emmène dans un univers farfelu avec Broadway, projet fantasque entre comédie burlesque et film de bande. Cette bande est constituée de personnages hauts en couleurs, comme une danseuse recrutée pour arnaquer des passants dans la rue, un homme recherché après avoir fui un gang de tueurs, un gourou charismatique psychorigide… Ils vont multiplier les arnaques grâce à l’art de la danse de rue, qui leur permet de voler de pauvres gens hypnotisés par le spectacle. 

Le titre Broadway fait autant référence à cet art de la danse qu’à la cité où vit cette galerie de personnages. L’illusion de cette cité urbaine faussement idéale est rompue au gré d’un burlesque difficilement identifiable, lorgnant vers une narration almodovarienne, évoquant aussi bien le travestissement que la femme dans tous ses états, elle qui est la source de tous les malentendus. Cet aspect tiroir, qui s’attarde également à analyser chacun des mystères des protagonistes, enlève au film son caractère faussement euphorique, et en fait un objet hybride, proche du film-concept.

Women Do Cry – Femmes au bord de la crise de nerfs

Le dernier film de ce vendredi, également présenté en compétition des longs-métrages, nous vient tout droit de Bulgarie, pays encore trop peu représenté dans les festivals de cinéma du monde entier. Présenté par ses deux scénaristes-réalisatrices comme un brûlot politique dans leur pays en début de projection, le film présente une galerie de personnages féminins plus ou moins liés dans la Bulgarie du XXIe siècle.

Si le sujet discuté par les auteures paraît intriguant, le constat à l’écran y est tout autre. La première séquence se concentre sur l’opération chirurgicale d’une cigogne, comme une comparaison avec les figures féminines qui viennent envahir l’écran quelques minutes plus tard, porteuses de vie elles aussi. S’ensuit alors un enchaînement de séquences imbuvables, entre deux sœurs qui se disputent violemment, une autre femme jouant avec son bébé, une manifestation pro-LGBT… Dès les premières minutes, la direction narrative apparaît comme confuse et imprécise. En 1h45 chrono, Mina Mileva et Vesela Kazakova choisissent de traiter tous les problèmes sociaux de la Bulgarie d’aujourd’hui. 

L’ensemble devient rapidement aussi illisible que bruyant, ponctué de cris incessants et d’attitudes insupportables, entre vulgarité et méchanceté gratuite. La présence de Maria Bakalova, nommée aux Oscars pour le deuxième volet de Borat, n’apporte rien de plus à l’ensemble : elle use de ses capacités de jeu pour hurler sur des médecins et assister à des processions religieuses trop longues et incompréhensibles. Si le film assume à 100% son message féministe-punk sous acide, il ne relève en réalité à aucun moment l’image de la femme, qui apparaît comme une hystérique criarde sans principes quelconques. 

Visuel : Affiche du film Les Poings Desserrés de Kira Kovalenko

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