Cinema
“Der goldene Handschuh” de Fatih Akin : De la légende hambourgeoise au tapis rouge de la Berlinale

“Der goldene Handschuh” de Fatih Akin : De la légende hambourgeoise au tapis rouge de la Berlinale

12 February 2019 | PAR Samuel Petit

Force est de reconnaître que, films après films, Fatih Akin ne se répète pas. Plus encore, par les thèmes et les manière de les traiter, il sait prendre son public et les critiques par surprise. Après le récent triomphe international du thriller politique et intime In the fade, Der goldene Handschuh, présenté samedi en compétition, confirme cette imprévisibilité de l’enfant terrible du cinéma allemand. Le film retrace le parcours criminel et pathétique du tueur en série, Fritz Honka, sorte de Jack l’éventreur à la sauce hambourgeoise, alcoolique, au traits difformes, au strabisme inquiétant et à la démarche chancelante. Celui-ci découpe en morceaux dans sa mansarde les vieilles prostituées rencontrées au bar 24/7, Zum goldenen Handschuh, situé dans le quartier rouge du port hanséatique.

La violence inouïe et sans filtre sont montrés dès la première scène du film. Ce parti pris provoque énormément de gêne en tant que spectateur et a, lors de la conférence de presse, poussé le réalisateur à s’expliquer sur le sens de montrer ce genre d’horreurs commises sur des femmes à l’heure de l’ère #metoo. Tout en niant toute apologie des violences mises en scène ici et « souhaitant un monde sans serial-killer », celui-ci revendique vouloir contribuer au débat en montrant ces violences sexuelles et sadiques, et interroger sur l’humanité d’un monstre tel que Fritz Honka.

Le film, malgré ses horreurs, reste étrangement soutenable à regarder. Car le registre du film d’horreur est souvent doublé d’un fond de comédie ou d’absurde, à l’instar de ce qu’on trouve souvent chez Tarantino. Aussi, le film donne l’occasion à de nombreuses reprises à certaines prostituées agressées de se défendre, voire de foutre à ce bourreau assez bouffon une bonne leçon. Ainsi pour l’adaptation cinématographique du roman noir de 2016 et déjà iconique de Heinz Strunk, plus qu’inspiré de personnes, de lieux et de faits réels, Akin et son équipe ont recréé l’univers fantasmé, ou du moins on l’espère, quelque peu exagéré du Hambourg des années 70. Sans jamais le formuler comme tel, c’est ce milieu et le sentiment général de décadence s’en dégageant qui est ici le grand responsable de ces drames. Les scènes mémorables au bar, avec ces personnages et cette atmosphère qui ne vont pas sans rappeler les peintures de George Grosz sous la République de Weimar, ont une fonction identitaire forte : il s’agit pour les Allemands d’une image d’eux-mêmes relativement peu connu à l’étranger, et qui malgré son aspect déprimant par son kitsch et par son glauque, offre un pendant salutaire à la droiture et à la rigueur qui leur collent à la réputation. La manie du meurtrier de faire signer un contrat à ses victimes alcoolisées, stipulant qu’elle renonce à toute volonté et toute résistance, relève d’une auto-raillerie toute allemande sur ces caractéristiques culturelles profondément ancrés.

Le jeune acteur interprétant avec toute la folie nécessaire le rôle de Honka, Jonas Dassler, réussit à faire le coup de maître de laisser percevoir l’homme derrière le masque de maquillage et les nombreux autres signes extérieurs du monstre : outre qu’on se met par moments à penser à Denis Lavant dans Mauvais Sang ou l’interprétation de Lars Eidinger dans Richard III, le choix audacieux d’un jeune acteur (23 ans) pour interpréter cet homme ravagé de plus de 40 ans fonctionne à merveille tant il rajoute une couche de bizarrerie supplémentaire difficile à identifier. Enfin, car l’espoir soulevé par sa tentative de rédemption est grand, sa rechute et le retour de la bête est d’autant plus tragique.

Et pourtant, malgré toutes ces réussites, le film laisse l’impression de manquer d’une certaine tension ; comme si il manquait quelque chose à ce conte si local, qui pue le schnaps, la Astra bier et aux accents d’Hamburger Schnauze – ce bagout hambourgeois, mélange de dialecte, d’attitude et de répartie -, pour lui donner une dimension universelle. Bien que traité de manière bien moins burlesque que dans la mise en scène toujours sold-out à la Schauspielhaus de Hambourg, cette légende qui fascine et amuse tant le peuple de l’Elbe, nous échappe quelque peu. Et c’est peut-être bien comme ça.

 

NETFLIX QUESTIONNE LE CINÉMA
L’art de la cuisine et la cuisine de l’art
Samuel Petit

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration