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Comment le FBI et le LA Times ont anéanti Jean Seberg

Comment le FBI et le LA Times ont anéanti Jean Seberg

24 July 2020 | PAR Alice Martinot-Lagarde

Le 7 juin, le Los Angeles Times publiait un article reconnaissant sa responsabilité dans la descente aux enfers de Jean Seberg par la diffusion de fausses informations la concernant, obtenues grâce au FBI. Disponible à partir du 23 juillet sur Amazon Prime Video, Seberg, de Benedict Andrews, revient sur les ravages causés par cette enquête sur l’actrice américaine. 

Le 30 août 1979, Jean Seberg est retrouvée morte dans sa voiture à Paris après avoir été portée disparue pendant dix jours. La police conclut rapidement à un suicide, mais les véritables circonstances de son décès n’ont jamais été révélées. La fin de sa vie a en effet été marquée par de sérieuses dépressions et, dépendante à l’alcool et aux médicaments, elle tente plusieurs fois de mettre fin à ses jours. Si son entourage confirme que la jeune femme était fragile, on peut toutefois dater le début de ses tourments et la responsabilité de certains événements déclencheurs. 

L’emprise du FBI

Dans les années 1960, le FBI lance un programme de contre-espionnage intitulé COINTELPRO afin d’enquêter et de neutraliser des organisations politiques dérangeantes, notamment les activistes afro-américains comme les Black Panthers. Jean Seberg fait alors partie des premières actrices à s’engager politiquement pour défendre les afro-américains et par sa liaison avec Hakim Jamal, fondateur de l’Organisation de l’unité afro-américaine, se retrouve dans le viseur de cette enquête secrète. Punie pour son engagement, principalement par d’importantes contributions financières, elle est traquée et mise sur écoute. Le film de Benedict Andrews révèle d’ailleurs parfaitement bien les événements et les conséquences sur la psychologie de l’actrice, rendue malade de se sentir constamment espionnée.

Pire, le FBI partage avec la presse des informations obtenues en la surveillant, utilisant sa notoriété pour lui nuire. Le 19 mai 1970, le LA Times dévoile ainsi sa grossesse, affirmant, sans preuves, qu’Hakim Jamal serait le père de l’enfant, certains que le ragot ferait scandale à une époque où une relation entre une femme blanche et un homme afro-américain membre des Black Panther aurait été grandement critiquée. Jean Seberg, encore mariée à Romain Gary, nie les faits. Perturbée, elle accouchera trop tôt du bébé, qui ne survivra pas. La perte de cette petite fille l’anéantie à jamais. 

Une leçon à retenir

Après cinquante ans à accuser uniquement le FBI de ce drame, le LA Times a enfin reconnu sa responsabilité dans la fin tragique de Jean Seberg. Le 7 juin, Nicholas Goldberg affirmait dans un article : “Il y a cinquante ans, un rédacteur en chef du Los Angeles Times est entré en possession d’un dangereux morceau de ragots, divulgué au journal par le FBI. Le Times l’a imprimé sans vérifier les faits, et la vie d’une jeune actrice célèbre a été détruite.” 

L’article du LA Times souligne aussi très justement le fait que cet incident soit toujours d’actualité aujourd’hui. À l’heure de la diffusion de fake news et du shaming sur les réseaux sociaux, il est important de prendre conscience du pouvoir de la désinformation et de voir comment il est possible de nuire par l’exposition de la vie privée, véritable ou non, au plus grand nombre. L’histoire de Jean Seberg n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres de personnalités anéanties par la puissance des médias.

Celle-ci nous offre aussi une leçon sur l’éthique du journalisme et l’indépendance des médias. Dans son article, Nicholas Goldberg le reconnait : “Qu’elle soit vraie ou fausse, et les preuves suggèrent qu’elle était fausse, l’information du FBI n’aurait jamais dû être publiée. Pourquoi le Times publiait des ragots non pertinents, sans source et non vérifiés sur les activités sexuelles et conjugales des gens à la demande du FBI, et en particulier d’une manière aussi raciste ? Honte à nous.”

Et le film ?

Si Seberg s’attache à montrer l’emprise du FBI sur Jean Seberg pendant cette période, il n’est en revanche pas un film sur l’actrice et reprend uniquement une partie de sa vie qui est, tout comme l’enquête du FBI, a remettre dans son contexte. Le film dépeint avec justesse la femme qu’elle était, mystérieuse, sensible et impertinente, grâce à l’excellente Kristen Stewart, mais il manque beaucoup d’éléments : la subtilité de sa relation avec son mari est balayée, les violences qu’elles subissaient de la part d’Hakim Jamal omises et sa vie d’actrice à peine abordée. Il est alors compliqué de saisir véritablement les enjeux de l’affaire, au-delà du désespoir de l’actrice. 

 

Seberg de Benedict Andrews, avec Kristen Stewart, Jack O’Connell, Anthony Macki et Yvan Attal. Disponible à partir du 23 juillet sur Amazon Prime Video. 

 

 

Visuel : © Affiche officielle du film 

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